Samedi, dans le dernier épisode du feuilleton vous découvrirez qu’Hélène va mourir. Cela m’ennuie énormément. Hélène était une bonne personne et pour Vadim ce sera un déchirement. Mais nous mourrons tous n’est-ce pas ? Alors on dira que son message restera, les autres voudront lui faire honneur. Il faut garder courage. Hélène la douce va mourir.
Des petites et grandes morts en nous.
J’ai me suis souvenu de ce vidéogramme où Denise Glaser interrogeait Jeanne Moreau. Sa chanson « Le vrai scandale c’est la mort » est présentée et explicitée. Images tellement fortes en noir et blanc.
Les ciseaux de la jeune fille
Ce matin j’étais dans un lycée professionnel, entouré de jeunes gens qui apprennent à couper les cheveux.
Rien de plus futile peut-être que de veiller à reprendre chaque visage et lui donner meilleure allure. Des jeunes filles, un jeune homme, apprenaient là à manier leurs outils sous le regard bienveillant d’une excellente professeure. Ils étaient tous concentrés, sérieux, intimidés parfois.
Et moi, j’apprenais à vieillir dans ce nid de jeunesse courageuse. Cette jeunesse qu’on ne cesse de disqualifier alors que l’incertitude pèse sur elle.
J’ai appris un autre métier. Je suis incapable de mes doigts. Nous avons tellement parlé après avec la professeure. Vieilles remontées professionnelles. Pour un peu je lui aurais rédigé un entretien de carrière. Très satisfaisant. Mais oui !
Je suis parti du salon pas seulement fier de ma tête bien coiffée pour une fois, mais fier de ces jeunes gens. C’est idiot. Mais cela me rassurait.
Des petits bouts de morts cassés en nous
C’est cela vieillir. Après on sort, on se retrouve à marcher dans la rue sous le soleil, bien coiffé mais avec ses blessures de guerre. On a ses morts en soi. Ça ne se voit pas du dehors. J’ai donné très tôt. J’ai donné beaucoup. J’ai donné trop.
Le deuil vertigineux de Loïc. 18 ans bientôt. Déjà ? Personne ne m’en parle. Je ne l’oublie pas. Je lui ouvre la porte et il sourit. Il sait que je le comprends. Il entre à chaque fois. Lolo luciole. Il rentre puis il s’en retourne dans le néant. Mais ça ne suffit pas de comprendre quelqu’un pour le sauver.
Les morts en nous, c’est comme des petits bouts d’arthrose, parfois ça coince, ça empêche d’être totalement à la fête. Mais on tient le coup, on roule va, ça roule… mais si je te dis, ça ira.
Qu’est ce qui meurt en nous ?

Cette époque, cette période… Je suis à mes paysages, aux villages incroyables, je me dépayse à m’enivrer moi qui n’ai jamais eu de pays, de maison natale. Je suis dans cette étrangeté et je regarde les énervements parisiens de plus en plus loin. Je coupe la télévision. Les discours insupportables. Les emmerdes que les humains se créent, à force, on va penser qu’ils aiment ça. Vrillés, bloqués…
Hélène, Vadim, Rémi et Robert
Quand Hélène mourra, elle laissera Robert seul. Vadim son petit fils vivra dans l’amour de Rémi. Puis Robert partira et ils laisseront la maison du chemin vide.
C’est comme ça dans toute famille.
Mais de nos jours, on ne parle plus des morts ou presque. C’est à peine si on montre leurs photographies.
Les écrivains font mourir leurs personnages. Ou ils les laissent mourir.
Et nous, nous vivons, ou nous faisons semblant.
Faut-il encore écrire ?
Des imbéciles autoproclamés « coachs » expliquent dans des formations payantes que lorsqu’on écrit pour l’Internet, il faut écrire des textes brefs qui répondent via des mots clés intelligemment choisis aux questions que les gens se posent.
Les textes qui m’ont le plus marqué, qui m’ont vraiment enrichi, ont toujours répondu à des questions auxquelles je n’avais pas pensé, ils m’ont ouvert des portes vers des passages et des paysages que je n’imaginais pas. Je me suis laissé allé à la curiosité pure, celle qui prend le temps de trainer au hasard ou qui au moins laisse un peu de place à la sérendipité.
J’écris souvent des choses inintéressantes parce que noyées de conformisme. Elles peuvent attirer le chaland. Et puis des pages amusantes ou plus riches n’attirent pas spécialement de lecteur. C’est ainsi.
Autrefois, j’aurais écrit beaucoup dans ma chambrette puis de temps en temps, j’aurais sorti un petit manuscrit, un roman, une plaquette de poèmes. Des facilités ne font pas un talent. Un jour peut-être, on aurait vendu quelques exemplaires à la librairie du coin. Vous vous souvenez des poèmes du Petit Chose ?
Je pourrais très bien arrêter d’écrire si je faisais un effort. Si ça se trouve je m’en porterais mieux ! Ou pas.
Mais Hélène va mourir. Je la retiens un peu du bout des doigts, sur le clavier. Suspendue. Dans les points de suspensions…
