La procrastination a mauvaise réputation. Pour la contrer certains pratiquent la précrastination, réagissent au fil de l’eau, répondent les premiers… Entre précrastination et procrastination, la voie qui consiste à se centrer sur le présent, pleinement, sans peur peut se dessiner comme le juste milieu qui ne nous nie pas dans de fausses urgences ou la culpabilisation…
Ado je procrastinais
Je me souviens que les devoirs de mathématique, je les bâclais à la dernière minute. Pour me débarrasser d’un exercice à la fois détesté et redouté. Aucun professeur n’a jamais pris le temps de m’aider à comprendre l’algèbre. Cette langue m’était étrangère.
Mon ennemi fut longtemps le cahier de textes.
Mais si je reportais tentant de faire diversion, mon esprit n’était pour autant pas libéré. L’échéance planait au dessus de moi. Une sorte de vautour malin qui venait gâcher cette fausse désinvolture.
Ce n’était pas que je ne voulais pas faire la tâche. C’était la tâche qui ne voulait pas de moi.
Adulte je programmais tout
Pour me venger et ne plus me laisser surprendre ou déborder, j’ai alors fait l’inverse. J’ai minuté mon agenda, surtout les dernières années professionnelles. Plus qu’en compétition avec les autres, je voulais toujours anticiper, être prêt bien avant l’heure. Je ne me suis pas connu arrivant en retard. Mon travail était rendu bien avant l’échéance, tout comme mes impôts payés le plus tôt possible… Le précrastination camarade !
J’en ai gardé des séquelles. Je me suis exposé inutilement, habituant mes partenaires à mon tempo… Ils s’étonnaient du coup si par malheur le mail n’était pas répondu dans l’heure… Ainsi j’ai pratiqué une sorte d’auto-harcèlement. Certes, mon cerveau en tirait une forme de satisfaction mais toujours avec l’inquiétude que tout soit juste et précis. Parfois une débauche d’énergie était mobilisée car je devais souvent agir seul pour trouver l’information par moi même dans des délais contraints…
Il est vrai que le numérique a favorisé cette accélération comme une volonté des administrations de rapporter des chiffres, des indices, des résultats rapides. On a inventé les « enquêtes minute », les tableaux à renseigner dans des délais infernaux. « Puisque vous vous soumettez, on verra jusqu’où vous serez esclaves… »
Travailler vite même avec la solidité d’une certaine expertise, réduit l’aptitude à penser, juger, jauger, disposer du regard critique…
Certains trichotent. Je me souviens de ce collègue qui me disait renseigner ses enquêtes « à la louche ». Heureusement je n’ai jamais sombré dans la délation… Vite et mal, prends donc, qui verra de toute façon dans un système aussi accéléré ?
Ne pas confondre vitesse et précipitation… Le plaisir nié dans ce coït automatique. La procédure, la norme, le conformisme…
À la campagne je me soigne
J’apprends à ne pas me précipiter. Pour moi c’est une forme d’effort. Non seulement attendre mais ne pas me jeter sur ce que je vois à accomplir.
Glisser des interludes, des siestes, aller vers la méditation…
C’est à faire ? Je prends le temps de poser les choses, de les regarder. Ce sera commencé demain une fois les éléments réunis. Et si ce n’est pas terminé demain, j’aurai le temps plus tard…
À la campagne de toute façon, il faut réfléchir avant de se mettre en route s’il manque quelque chose…
J’ai encore des séquelles : le rendez-vous pour la voiture, il a fallu que je prenne le premier horaire et je sais que je serai levé bien tôt avant que l’aube ne blanchisse le causse…
Je fais des efforts.
C’est comme pour accepter les petites imperfections, les petits défauts, les rides, les marques… faut lâcher prise…
Plus sérieusement, je m’essaie à investir pleinement le moment présent. Être dans le flow, dans cet alignement entre ce que je suis et ce que je fais, sans sollicitation extérieure, sans distraction, sans notification…
Cela tient aussi à une bonne distinction des lieux et des fonctions…
La table que je dois monter : je procède par étapes, je réunis les éléments, je regarde, j’essaie, j’assemblerai ensuite… en visualisant mon attente, en « designant » (coucou Elliot) mon environnement…
À la campagne nombre de commerces font la pause méridienne. À l’ouverture ne vous avisez pas de vous précipiter. C’est le début de l’installation. Pourquoi se presser ?
Sur la route, si tu es pressé, je me glisserai de côté, passe, je veux voir de plus près le troupeau… J’arriverai quelques minutes après toi…
Bien sûr vous me direz, il y a parfois des urgences (vitales). Mais pour y être efficace, il faut pouvoir y être pleinement disponible…
Reprendre le pouvoir sur son temps
C’est seulement maintenant, alors que j’ai arrêté de travailler depuis un petit moment, que j’apprends à réinvestir le temps, c’est à dire, à être présent aux choses que je fais, en prenant le temps de les faire…
C’est à la fois prendre le temps d’approfondir ce qui le mérite, oser scinder ce qui n’est pas si urgent, accepter de reporter…
Méditer. J’effleure cette question. Cela commence par savoir m’assoir sans rien faire et peut-être même sans chercher à penser… Laisser non pas le vide mais au contraire la sensation du présent s’installer, prendre pleine place.
Rester assis, ou allongé…
Vers l’âge de 17 ans, je savais m’allonger sur un tapis, je glissais un trente-trois tours et je me laissais porter. Je réapprends cela…
Je réapprends aussi à ne pas marquer d’impatience dans ces moments a priori peu enrichissants : balayer, ranger, plier le linge… et laisser venir le temps…le laisser glisser…
Se projeter et cheminer
Ici, c’est formidable. Pour joindre deux points on te propose trois chemins, deux routes, des passages, des raccourcis, des traversées, des surprises…
Le détour offre souvent tant de joies.
Mais pas l’interruption inappropriée…
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