Au détour du rayon fruits et légumes du supermarché, c’est un vendeur presque goguenard qui alpaguait le client en lui demandant « Comment allez-vous ? » Tout à mes comparaisons de prix entre navets et oignons, je fus presque désarçonné par la question. Et vous, comment allez-vous ? et comment je vais ?
La question à laquelle on ne répond pas
Formule de politesse que chacune et chacun connaît bien, souvent lancée lorsqu’une personne rejoint un groupe et salue les unes et les uns après les autres…
‘Comment allez-vous ? »
Chacun sait bien que l’allusion au transit est évacuée aujourd’hui de toute arrière pensée… sauf si c’est mon toubib qui m’interroge (et je n’en ai pas) je ne m’abstiendrai de répondre…
Mais de toutes les façons, on se salue, c’est pas le moment de raconter ta vie. On te pose la question, c’est un vague signe de reconnaissance sociale, mais on ne te demande pas vraiment de répondre…
Au mieux ce sera suivi d’un amical « alors quoi de neuf ? «
On te demande du neuf, de l’optimisme et du joyeux, pas de raconter l’agonie de ta belle mère, tes rhumatismes ou que ta femme a eu enfin le courage de se sauver avec le jardinier (qui est quand même assez choupinet, il faut se l’avouer).
« Comment allez-vous ? « Si tu réponds d’un laconique « mal », ça risque de faire trouble-fête. Ne va pas non plus exhiber ton enthousiasme si tu es amoureux ou tout joyeux. Ça pourrait être vu comme une provocation et susciter des jalousies.
Tu es là, tu es présent, d’ailleurs, celui qui le premier a lancé la formule, prend un rien de pouvoir sur toi et il n’est peut-être pas bien vécu de poser la question au supếrieur hiérarchique.
Us et coutumes.
Dans son guide de la bienséance, « Le savoir vivre » paru semble-t-il en 1915, œuvre de Mme de Grandmaison, officier d’académie, – oh, un point commun ! – il n’est pas évoqué cette façon de se saluer. Je m’y refuserai donc dorénavant.
Mais que répondriez-vous à la question ?
Car pour y répondre il faut y avoir pensé, il faut le savoir, l’envisager.
Est-ce qu’on prend toujours le temps de se la poser à soi même ?
Comment je vais ? Ce n’est pas qu’affaire de santé, de bon transit ou de moral au beau fixe. Aller c’est être en marche, avancer, être au présent, à son présent, à soi.
L’examen ou l’inventaire des petites souffrances ne suffisent pas.
« Comment je vais ? » Est-ce souffrant, hésitant d’un pas débile ou assuré ? Est-ce se laisser voguer au gré du vent, de l’actualité du monde, dans son âge, dans la vacuité des choses à faire ?
Ou bien, est-ce se laisser traverser par la poésie des choses, être à son présent, attentif à soi, à ce qui nous entoure, aux amis comme aux passants.
Hier un cycliste ensanglanté m’a demandé secours. Il avait mal mais tentait de faire bonne figure. Je me suis mué en infirmière.
Un autre plus tard passa devant ma porte et klaxonnait impatient que je le renseigne : « où est le supermarché ? » Il vociférait. Je trouvais qu’il allait plus mal que le premier. Je lui demandais de ne pas me hurler dessus, gentiment. Il s’excusa et me remercia.
Je tiens mon impatience en laisse
Je vais. En attendant de changer de maison, ça vient, j’ai déménagé d’instance Mastodon. J’ai fait mes premiers cartons. J’ai nettoyé, jeté, trié, trituré mon passé et éliminé quelques vestiges trop indignes.
J’ai laissé un peu de désordre envahir la maison que je vais quitter, mais j’aligne avec soin ce qui devra partir.
Je me turlupine avec quelques détails ou des inquiétudes idiotes. Que pourrais-je perdre ? Des objets ? Mais ce n’est rien…
Mon regard est déjà tourné vers les méandres de la rivière et je trouve en ce moment les gens gentils dès lors qu’ils sentent qu’on est gentil avec eux. Le contraire des conseils d’un coach d’internet qui disait qu’il ne faut pas être gentil… C’est idiot.
Je tiens mon impatience en laisse, je la caresse, je lui parle. C’est une bonne jeune chienne. Elle veut déjà qu’on y aille ! Mais rien ne sert de courir ma fille. Il faut être au bon tempo des choses à accomplir. Dérouler le fil.
Il pleut mais l’air est doux.
Le mois d’août tire son rideau
J’ai bien écrit, enfin quelques textes qui ne me déplaisent pas et pour lesquels j’eus de bon retour. « Les nouvelles crues » ont trouvé leur public. Des gens qui ont compris que ce qui était à croire tenait parfois plus dans ce qui n’était pas dit.
C’est cela l’inquiétude. Pas le départ, pas l’abandon, pas la mort, mais ce que l’on ne dit pas. Ce qui n’a pas été dit au petit garçon et qu’il a dû deviner par lui même, enquêteur sur sa propre vie et la vie des grandes personnes.
J’espère que vous allez bien. Les connus et les moins connus. C’est à dire que vous ne vous cognez pas trop aux meubles, aux personnes, aux dossiers de papier, aux urgences, aux souffrances et aux salles d’attente.
J’espère que vous trouvez toujours, chaque jour, quelques minutes d’escapade !