La semaine du courage sur le site n’épuisera pas le thème. « Avoir le courage de ne pas être aimé »* est un « best-seller » qui a su convaincre les Japonais. Il est une interprétation plutôt motivante de la psychologie d’Adler. Le livre peut venir nous secouer. Il en existe de nombreuses présentations dont des vidéos sur le net, je n’en ferai donc pas le résumé. Je le trouve inspirant à titre personnel et il m’aide à clarifier un certain nombre de points. Si j’emploie le « je » ici c’est seulement pour témoigner en écho à cet ouvrage.
On m’a souvent renvoyé aux expériences douloureuses de mon passé
« C’est normal que tu sois si sensible, artiste… avec ce que tu as vécu. »
On me disait souvent ces paroles avec beaucoup de gentillesse.
Même à dix ans, m’entendre dire cela m’agaçait prodigieusement. J’aspirais déjà à être ce que je voulais être. Intuitivement, je ne voulais pas me laisser définir par ce que j’avais vécu ou mon environnement. Je refusais déjà les étiquettes réductrices.
Avec mon copain François, plus petits, notre jeu favori était de nous imaginer orphelins et de partir à la conquête du monde. C’était un jeu très intense et sérieux. Nous devions nous débrouiller seuls. Mais en solidarité. Je dois beaucoup à François de cette complicité fraternelle. Nous nous étions trouvés de formidables espaces de liberté et nous avions une totale confiance l’un en l’autre.
Les souffrances viennent-elles du passé ou de mon incapacité à ne pas réduire ma vie à une interprétation réductrice du passé ?
« Ta vie n’est pas quelque chose que quelqu’un te donne mais quelque chose que tu choisis toi-même et c’est toi qui décides comment tu vis » (extrait du livre)
Je disais ça hier en parlant d’agir par choix plutôt que par devoir.
D’une autre façon, cela pourrait se traduire par le courage d’agir en responsable, non parce que l’on m’y contraint mais parce que je suis convaincu que c’est « le bon choix » qui fera du bien aux autres comme à moi-même.
Je ne trouve rien de formidable à saluer un drapeau mais courageux de défendre la liberté de ses pairs. Si je vais à une cérémonie d’anciens combattants, c’est pour reconnaître leur courage à ce moment-là. Pas pour les vitrifier en héros et encore moins excuser les guerres futures.
La mise en scène de la colère
L’introverti sort parfois le feu d’artifice de la colère. La colère est un outil qu’il faut savoir dépasser si on ne sait l’éviter. Soit on reste en dessous d’elle, son esclave, on sombre dans la honte, on va s’excuser, on rentre dans le rang… on peut à cet égard s’asservir soi-même pour ne pas perturber son habitus, soit on assume, on en tire les conséquences, on agit, notamment pour refuser l’emprise du passé. On répare, on avance, on se sépare si besoin.
Et si on reconnaît les signes de la colère, grandir c’est anticiper. Adler décrit la colère comme un outil au service d’un but. Que veut-on avec sa colère ?
Je change, tu changes, il change.
Pour être moi-même, mon comportement change. Changer c’est refuser d’être l’esclave du passé. Je défriche et déchiffre mon propre chemin. Je ne peux changer le passé. Il n’est pas intéressant de le laisser commander mon présent. Le courage à avoir c’est de se penser dans le présent, sans s’encombrer, en s’interrogeant sur ce que l’on veut en faire. Sans forcément non plus « attendre le bon moment », les conditions…
J’ai appris avec le temps, à construire mes propres réponses.
C’est le risque de l’autodidacte que des méthodes empiriques peuvent perdre et encombrer mais si j’avais attendu de connaître les règles de la métrique je n’aurais jamais écrit de poésie, si j’avais attendu d’apprendre le solfège pour inventer des chansons, j’aurais renoncé.Peut-être apprendrais-je la métrique et le solfège si j’en ai besoin.
En arrivant dans une toute nouvelle région pour moi, où personne ne me connaît ou ne me voit au travers de mon ancien prisme professionnel, je me trouve d’abord confronté au « vrai » moi-même. Pas de costume cravate, pas de fonction (surtout qu’elle était assez institutionnelle). J’explore de nouveaux lieux. J’ai eu la chance de pouvoir choisir un lieu de vie formidable. Il est beaucoup plus riche et complexe que je ne me l’imaginais. Je prends place dans le paysage et indiciblement, délicatement dirais-je, de premiers liens se tissent. Il faut accepter d’en prendre le temps. C’est quelque chose qui s’écrit de plus intense que je ne l’anticipais. J’ose dire malgré les inquiétudes venues du monde extérieur, que je prends du plaisir et goûte des bonheurs inattendus. Ce qui est plaisant c’est que je change en me sentant en meilleure cohérence, tout en acceptant aussi de ne pas savoir tout de ce changement…
S’aimer ?
On n’apprend pas à s’aimer, à s’accepter, à se reconnaître. On n’ose pas toujours s’explorer soi-même comme on le ferait d’un paysage ou d’un continent inconnu.
Souvent je dis à des amis ou des amours, que la rencontre d’une personne est à mes yeux comme la découverte et l’exploration d’un continent inconnu. L’explorateur n’a cependant aucun droit, il est de passage, pas un colon, ni même un touriste. Il découvre. Mais l’explorateur ne fait pas que découvrir la richesse et la merveille d’une vie humaine, son histoire, sa sensibilité… il se découvre à travers l’autre. C’est cela s’enrichir des rencontres. Il faut souvent dépasser un certain nombre de préjugés sociaux et culturels pour aller sciemment à la découverte d’une personne qui semble ne pas vous ressembler… et avec laquelle vous allez pourtant vous découvrir mille points communs. Il faut accepter de se révéler à la rencontre de l’autre. Il faut pourtant prendre soin de ne pas s’illusionner, de ne pas se laisser « prendre » , posséder… Je ne t’appartiens pas, tu ne m’appartiens pas. Mais nous sommes en fraternité. Il arrive que l’on puisse cheminer l’un à côté de l’autre. Mais chacun son pas, son chemin.
S’aimer c’est tisser avec soi des liens de poésie. L’enfant intérieur, avec son idéal de vie, son appétit de vie et sa joie, s’y retrouve bien.
Choisir d’être heureux
Si je choisis d’être heureux aujourd’hui, par exemple en rebattant un certain nombre de cartes ou d’habitudes de ma vie, cela sous entend aussi que je refuse de « ne pas être heureux ». Je peux avoir des moments de spleen ou de blues, mais ça ne m’intéresse pas. Je préfère sortir et « communier » ou me relier avec la nature…
À plusieurs reprises dans ma vie d’antan j’ai choisi de m’attacher à des personnes qui m’éviteraient d’être heureux. Ne pas être heureux me protégeait du courage de l’être, d’assumer de l’être pleinement, notamment parce qu’il y aurait eu une forme de trahison à ne pas conformer au rôle du malheureux, presque un conflit de loyauté avec des parents que je n’ai pratiquement jamais vus heureux.
S’inscrire dans le présent, choisir son style de vie, vivre en poésie
Le courage d’être heureux c’est celui de se démarquer de son passé, des histoires tristes effectivement vécues, ou même de regrets qui seraient tout aussi mensongers dans le sens où ils n’aideraient pas à entrer dans la vie heureuse maintenant.
Ce courage n’est pas un chemin rectiligne, un progrès constant, encore moins une montagne que l’on grimpe.
Être heureux se travaille ou plutôt se vit au quotidien en m’attachant à être présent à ce que je vis.
J’ai tellement vécu avec des agendas, rythmé ma vie avec des projets, des plans, des objectifs, des comptes-rendus… aussi bien dans la vie privée que professionnelle, que je finissais par travailler plus pour les évaluations, les résultats attendus que pour le but lui-même et surtout j’occultais la joie de vivre pleinement le présent. Pas toujours, mais souvent.
Ce qui ne veut pas dire sombrer dans l’insouciance niaise ou l’inconséquence idiote mais encore une fois, pouvoir être pleinement à ce que je fais, en choisissant ce que je fais, en étant dans « le flow ».
Quand je dis aujourd’hui que je veux vivre en poésie c’est cela. Me relier au réel, me donner la capacité de m’enrichir de façon mystique et spirituelle, mais sans doxa ni église…
Être à la tasse de thé que je bois, à l’averse soudaine, à la confidence de l’ami, à ce que je lis ou j’écris, à l’objet que je répare, au buisson que je taille, à l’assiette que je lave, aux tâches du quotidien …
Quand je souhaite définir ma vie et mon style de vie, je dis que pour moi une journée réussie est celle où j’ai pu apprendre, créer, transmettre (ou partager) et prendre soin de moi ou d’autrui (fraternité et amour de soi).
Chacune, chacun crée son propre style et jamais je ne me permettrais de conseiller quiconque. Je ne peux que témoigner d’une démarche qui est un cheminement.
L’auto-disqualification
Dans une société fondée sur la compétition, où le syndrome de l’imposteur est une maladie connue, s’aimer, être « fier » de soi, n’est pas toujours bien vu. Je n’ai pas été élevé dans la religion, mais l’emprise des religions monothéistes reste forte. Il y a une forme de masochisme malsain dans ces religions du sacrifice où il faut souffrir pour être à l’image de Dieu ou tenter de gagner sa place au paradis. En réalité j’y vois surtout un outil d’asservissement social.
Il fallait que je sois arrivé le premier au travail et de préférence que je parte le dernier. Mais ça c’était mon éducation qui m’avait conditionné à me construire cette obligation. M’en démettre ne me rendait pas moins bon au travail et je ne le fis que tardivement.
Du coup, soit on sombre dans l’orgueil, soit on ne cesse de se stresser soi-même avec des jugements négatifs qui ne servent à rien qu’à s’asservir soi-même.
J’ai souvent dit vouloir fonctionner sans « honte ni orgueil ».
J’ose maintenant non pas dire que je suis fier de moi, mais je peux me féliciter d’avoir osé, d’avoir été tenace pour avancer et mener à bien un projet qui me tenait à cœur.
Il m’arrive de noter que je peux encore être injuste ou intolérant avec moi-même.
J’admire. Je dis souvent que j’ai des facilités mais pas de talent… en tout cas pas de génie, mais je sais que j’aime progresser, apprendre, aller de l’avant, faire mieux.
Pour autant, le pouvoir ne m’intéresse pas, le pouvoir sur autrui. Le courageux est celui qui partage le pouvoir qu’il possède.
Le refus de la compétition
J’aimerais des jeux olympiques qui soient de vrais jeux. On ferait du sport tous ensemble, peu importe l’âge, le sexe, la condition physique, en s’entraidant si possible pour réussir, expérimenter, s’amuser vraiment… que ce soit dans les jeux collectifs ou en gymnastique. On ferait ensemble, avec, en fraternité… jamais en opposition.
Tous êtres humains, égaux et différents.
La compétition suppose des perdants. On la confond avec la performance. Ce qui compte c’est d’où on part.
Mes élèves savaient qu’il n’y avait pas dans la classe de « bons ou mauvais élèves » mais que des élèves qui pouvaient progresser. L’évaluation compte pour soi-même, du point de départ à l’enjeu que l’on se donne.
Je ne veux pas améliorer mon geste pour faire mieux que l’autre, mais pour me sentir mieux, m’élever, connaître une limite sans toutefois me faire souffrir.
Dans les échanges sur les réseaux sociaux, nous sommes poussés souvent à vouloir convaincre, à gagner le match du débat. Mais ce n’est que du rapport de force. Que fera le gagnant de sa victoire s’il enferme l’autre dans son ressentiment ?
Être autonome en harmonie avec la société.
La solitude m’est utile pour réfléchir, faire le point, créer. J’ai appris « à me débrouiller seul» et si je n’ai pas peur de vieillir, j’aurais peur de devenir dépendant.
J’aime vivre des interactions. Je les choisis même si parfois je sais qu’elles auront lieu avec des personnes avec lesquelles je ne suis pas d’emblée à l’aise. Mon métier m’a fait rencontrer foultitude de personnes très différentes. J’ai appris de tout le monde. J’ai appris qu’il n’y avait pas de « gens d’en haut » et de « gens d’en bas ». Le respect est dû à tout le monde, vraiment. La dignité ne se divise pas, ne se mesure pas, ne s’attribue pas.
Je vis ma vie pour moi-même. Ça ne veut pas dire en égoïste. Mais je ne partage pas pour gagner de la reconnaissance ou de l’estime.
Dans les réseaux sociaux souvent certains sont en quête d’abonnés ou de « likes ». À une époque sur un réseau social célèbre, j’avais un nombre d’abonnés assez épatant. Mais en menant l’enquête j’ai découvert qu’un tiers était fait de comptes « morts », un autre n’interagissait jamais et que finalement j’avais plus d’interactions profitables sur un « petit réseau » avec un petit groupe ouvert au dialogue…
Mes choix m’appartiennent. Le chemin que je choisis est le mien… Je peux raconter, mais je ne recherche ni l’approbation ni la désapprobation.
Le métier public que j’ai été conduit à exercer m’a enseigné à me libérer de la recherche de ce que les gens pouvaient penser de moi.
Je veux pouvoir agir librement.
J’accepte pour cela de ne pas être aimé ou reconnu de tel ou tel. Je ne cherche pas à être aimé pas plus qu’être détesté.
Les sondages d’opinion sont des objets de manipulation de la liberté individuelle.
Imaginez si quelqu’un dans sa vie, agissait en fonction des sondages, en faisant voter un réseau social ? Cela arrive en réalité ! On voit des personnes solliciter l’avis des autres sur un choix vestimentaire, un choix de vie, une décision… C’est terrible de s’en remettre ainsi à autrui !
C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles je critique l’attitude qui consiste à s’en remettre à un prêtre, un oracle, un coach ou un mentor si l’on n’a pas posé d’emblée des limites claires.
Je partage, mais je ne fais pas à la place d’autrui
On connaît ces patrons qui ne savent pas déléguer et préfèrent refaire à la place d’un employé. Je n’ai pas à m’immiscer dans la vie d’autrui pour le conseiller. J’ai en revanche à être présent en camarade, en solidarité. Je peux montrer comment je m’en sors moi avec tel ou tel problème, je peux proposer de faire ensemble … mais pas à la place.
Je ne suis pas le centre du monde, je suis « citoyen du monde », bon camarade en solidarité, en égalité avec autrui. Je n’ai en réalité pas d’ennemi ce qui ne veut pas dire que je ne réprouve pas les actes de certains notamment s’ils s’en prennent à la liberté d’autrui ou engendrent de l’injustice.
Le partage est pour moi une forme de contribution, un impôt consenti mais dont je n’attends pas d’être félicité. Le merci est agréable mais ce qui m’apporte c’est de voir ce qu’il sera fait de ce que je donne, d’en tirer enseignement et non une sorte d’orgueil idiot.
J’aime bien l’exemple du vélo que l’on donne à un enfant. Il faudra adapter la selle à sa morphologie, l’aider à comprendre l’équilibre puis l’enfant va se débrouiller seul. Au final, le but est qu’il prenne la route et se débrouille seul. Parte faire de belles balades avec ses copains.Certains parents donnent un vélo puis mettent tant de conditions autour qu’ils en font un outil de domination. Au final, les parents ont peur, l’enfant est frustré.
J’aime aussi la façon dont les musiciens coopèrent entre eux dans un orchestre. Ils sont tous au service de la partition. Et si soudain le deuxième violon décide de se mettre en avant, il met tout l’équilibre par terre. De même chaque musicien à l’écoute, attend son tour. On coopère en vigilance et non en compétition vaine. Pour que l’orchestre joue bien, tout le monde doit se faire confiance.
Le courage de s’accepter
Il faut avoir le courage de s’accepter. Ce qui ne veut pas dire « se laisser aller ». Je compose en vieillissant avec ma fatigue ou le manque de muscles, je sais mieux utiliser mon expérience et reconnaître ce qui est bon pour moi ou les autres.
J’ai beaucoup de mal encore à diffuser mon image, à l’accepter. Pourtant je vois bien que les photos où je suis « le plus beau » ce sont celles où je me sens bien, où je suis moi-même, où je laisse le meilleur de moi-même s’épanouir sans vouloir paraître ou plaire.
Le courage de s’accepter c’est à la fois de ne pas se laisser prendre au piège de la procrastination tout en refusant de s’imposer des urgences idiotes. Je fais ce que je peux faire à un moment donné, pleinement, du mieux possible.
Le bouquin dit que « le bonheur c’est le sentiment de contribution » mais c’est celui qui « reçoit » qui voit si la contribution lui est utile au moment donné. Tu prends si ça t’intéresse, si tu t’y retrouves.
J’ai un nouvel ami avec qui nous construisons ça. Parfois il m’interroge sur ce que j’ai voulu dire. Parfois, nous nous encourageons. C’est amusant, nous partageons le même prénom. J’aime beaucoup la liberté de cette relation. Une confiance, une fidélité, une absence de jugement, une liberté… voilà l’amitié égalitaire et horizontale promue par Adler !
Le tout est d’agir avec sincérité en se préservant de dépendre du besoin de reconnaissance. Ne pas faire pour plaire mais apporter sa touche, sa contribution… Ne pas chercher à déplaire, mais garder son indépendance.
J’aime bien aussi l’idée d’être soi-même, « normal ». Parce que nous sommes tous égaux et différents, il n’est pas utile de se prévaloir d’une différence pour se trouver des excuses et ne pas avoir le courage de définir son propre style de vie…
*Le Courage de ne pas être aimé
Ichiro Kishimi
Fumitake Koga
Guy Tredaniel -Editions (2024)