Bon courage ! la formule qui tue

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Causse

Cette semaine, nous parlons du courage sur le site. Bon courage ! Il m’est arrivé de le dire. Il m’est arrivé de me l’entendre dire. « Bon courage ! » La formule est aimable en apparence. En réalité elle est problématique. La dire n’est pas… très courageux. Souvent, c’est de l’empathie de façade. Une attitude qui pourrait s’apparenter à de la charité condescendante. Dire « Courage ! » c’est une aimable façon de dire, je te vois dans tes difficultés… à toi de gérer ! (Plus familièrement dit, « chacun sa m… ).

« Une femme bien courageuse. »

« Il lui en faut de l’abnégation pour supporter son mari buveur et infidèle. Elle porte la maison sur ses épaules. »

La résignation et le sacrifice sont-ils des formes de courage ?

Roman

Dans le roman « Mais quel est son prénom déjà« , on voit comment une femme courageuse va sacrifier sa vie pour un but qui lui est finalement étranger…

Prise au piège de sa condition, la courageuse, la travailleuse, met toute son énergie à tenir… Peut-être pour défendre ses marmots, peut-être parce qu’elle ne saurait pas où aller…Il faut survivre.

L’esclave est-il courageux ? L’otage est-il courageux ?

Oui… c’est ce courage de la vie contre la mort. Un courage dont la motivation est à ce point binaire que « le choix » n’en est pas le moteur premier. On le dit souvent dans certaines situations : « Je n’ai pas le choix, il faut bien que je me résolve à l’action ».

C’est un courage obligatoire dont l’alternative est la fin… la mort peut-être ou une sorte de mort. Il est de nombreuses personnes qui sont dans la survie. Est-ce vivre ?

Est-ce empathique que de lui souhaiter « bon courage ! » ?

Irait-on visiter des condamnés à morts dans leur prison pour leur dire « bon courage ! » en sortant.

La femme courageuse dont nous parlions plus haut fait comme elle peut, elle tient… mais qui lui souhaite bon courage sans l’écouter, sans l’aider le cas échéant, ferait mieux de se taire.

Que ferions-nous à sa place ?

Le courage devrait plutôt être de notre côté.

Lors du confinement, le premier, les gens saluaient « les premiers de tranchée », ceux qui « étaient au front », chaque soir à 20 heures en tapant sur des casseroles. L’épidémie passée, on n’a pas vu les foules dans les rues réclamer un salaire décent pour les infirmières. Les incivilités contre les personnels se poursuivent dans les hôpitaux. Nombre d’infirmières découragées continuent de démissionner. La maladie s’étend aux profs, à d’autres fonctionnaires…

Courage !

On le dit souvent au malade. C’est par exemple une formule que s’entend dire un dépendant à la veille d’une cure, le « mauvais élève » affecté dans son « groupe de niveau » censé réparer ses défaillances, celle ou celui contraint de se soumettre à une épreuve d’autant plus difficile que les tenants et aboutissants lui en sont souvent obscurs.

Le « courage tu vas y arriver ! » n’aide aucunement si l’on ne donne pas quelques clés.

La personne qui souffre de surpoids est vue comme en incapacité de faire preuve de volonté et constance. Elle ne sait pas se maîtriser dit-on, ignorant ce que disent la science et la psychologie sur le sujet. Si on lui souhaite du courage, c’est qu’elle en manquerait ?

« Sursum Corda ! » (Haut les cœurs ). Il y a du «Reprends-toi » dans cette injonction au courage que les croyants prononcent volontiers. C’est affaire de persévérance… de « volonté ». Ah…

« On ne doit pas prendre de résolutions qu’on ne pourrait pas tenir. » dit un religieux sur son site. « Sinon, on risque le découragement ».

Petit garçon ou adolescent, je m’entendais souvent dire ce mot de « courage ! » par ma grand-mère certes présente et chaleureuse mais tout aussi démunie que je l’étais face à des difficultés familiales plus que difficiles. Sauf que les difficultés que je devais porter n’étaient pas de mon ressort, ce n’était pas qu’affaire de patience. Me dire « Courage » ne faisait que m’isoler dans l’anormalité d’une situation. J’avais alors le sentiment d’en être implicitement responsable. Il fallut que je m’émancipe sans culpabiliser. Pas gagné. Le courage, fut alors d’accepter mes limites et de ne pas chercher à porter les malheurs des autres. Ce qui est très différent d’apporter de l’aide ou de faire preuve de solidarité.

Quand une infirmière quitte son métier, ce n’est pas par manque de courage, c’est qu’elle se sent prise au piège d’injonctions contradictoires : là où elle devrait soigner, elle a le sentiment de devenir maltraitante. Il vient un moment où ses propres ressources deviennent insuffisantes.

Celui qui vit avec un sentiment de culpabilité porte tous les malheurs du monde et s’oublie, celui qui fait œuvre de charité se trouve des excuses dans sa gentillesse ou sa générosité – c’est mieux qu’être directement violent mais persiste une forme d’indifférence-, celui qui comprend et fait preuve de solidarité par un remerciement ou une action concrète, alors cette personne fait preuve de courage et ne cherche pas à l’exiger d’autrui.

Regroupement
des manifestants LGBT font preuve de courage en s’affichant publiquement

Autrement dit, ne souhaite pas « bon courage » à une personne si tu n’es pas capable de la remercier et d’agir concrètement en solidarité.

Plaindre une personne sur son bas salaire ne sert à rien par exemple si au moment de voter on ne vote pas pour une liste en faveur des bas salaires… Il y a une sorte de cohérence qui engage.

Il va falloir être courageux

Je pensais aussi à cette formule terrible. On la dit souvent pour annoncer une mort ou une mauvaise nouvelle.

C’est « la gestion de crise » à la mode aujourd’hui avec même ses protocoles.

Je me souviens qu’une responsable de l’administration, en charge d’une cellule d’aide psychologique m’avait à demi-mots reproché d’avoir été « trop présent, trop empathique  » lors d’une situation dramatique en milieu professionnel qui avait fait ressortir pas mal de choses… Je n’avais pour autant pas pris le malheur des autres sur mes épaules, mais nous avions cherché des réponses concrètes où alors c’est vrai j’avais osé une forme de solidarité probablement subversive.

Car c’est cela avec le courage…

Soit on dit à l’individu de se débrouiller seul, de trouver ses propres ressorts, soit il faut engager la société.

Face au scandale, quand des victimes apparaissent, il faut voir qui doit être courageux et à quel prix.

“Le courage est le prix que la vie exige pour accorder la paix.”(propos prêté à l’aviatrice américaine Amélia Earhart).

Lorsqu’un ministre promet de « la sueur, du sang et des larmes », il faut pour que ça passe, que ce soit crédible qu’il y ait « justice »…

Reconnaître et dire merci !

Il me semble souvent plus riche de dialoguer…

Un exemple simple : le livreur qui débarque à 20 heures parce qu’on lui a mis une double tournée sur le dos, qui est sujet à pression sur ses horaires… mérite d’être reconnu et compris dans les conditions qui lui sont faites. Ce n’est pas d’un « bon courage » qu’il a besoin mais d’une reconnaissance de ce qu’il vit et de vrais remerciements.

Lesquels pourront être suivis le moment venu, d’actes citoyens…

Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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