Lettre ouverte au colleur d’étiquettes

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Une lettre ouverte au colleur d’étiquettes ? Oui, et j’y suis bien obligé. Parce qu’il faut que je lui parle à cet homme qui m’ennuie chaque matin. Et ne connaissant pas son nom, je suis bien contraint de lui écrire publiquement, espérant que ce message de haute importance lui parviendra. Si vous le connaissez, transmettez lui. Merci !

Ma lettre

Cher Monsieur,

Je préjuge. Vous êtes peut-être une dame. C’est mon imagination qui vous a fait homme.

Nonobstant, il est important et même indispensable que je vous écrive.

D’abord et avant tout, je dois vous le dire : je n’ai rien contre vous personnellement. Je comprends que vous faites votre travail de colleur d’étiquettes. Vous collez parce qu’on vous paye pour ça. Vous collez des étiquettes chaque jour et en toute occasion. Peut-être même que c’est devenu pour vous une forme d’automatisme autant qu’une nécessité. Ce ne doit pas être un drôle de travail. C’est peut-être lassant et un rien répétitif. Il n’y a certes pas de sot métier, mais nous reviendrons sur la pertinence de ce geste professionnel qui mérite d’être interrogé.

Je n’éprouve donc aucun ressentiment particulier à votre encontre. J’aimerais que ce fût réciproque. Que vous ai-je fait ?

Car comprenez-bien que votre geste en apparence anodin est aussi inutile que problématique et vient chaque matin me contraindre à défaire ce que vous avez réalisé, sans contrepartie ni rémunération.

Je m’explique : il se trouve que dans le cadre d’une alimentation équilibrée recommandée par les meilleurs nutritionistes, le monde médical et le ministère en charge de la santé, je veille à ce que mon alimentation comprenne au moins 5 portions de fruits et légumes par jour. Par ailleurs, j’ai pris pour habitude d’enrichir mon petit déjeuner en choisissant un fruit, en l’occurrence le kiwi connu notamment pour sa haute teneur en vitamine C. Come l’évoque le site Aprifel : “de nombreuses études ont été réalisées sur le kiwi et plus particulièrement sur l’action antioxydante et anti-inflammatoire de ces composés qui préviendrait l’apparition de certaines maladies cardiovasculaires, cancers et autres troubles dégénératifs (Singletary, 2012, Richardson, 2018).”

Je le sais. Certains importateurs font venir le fruit de très loin. Ce n’est pas très bon pour l’environnement de consommer des fruits et légumes au bilan carbone désastreux. Il m’arrive de culpabiliser à ce sujet et je tends avec l’abnégation qui me définit de faire évoluer mes propres pratiques. Croyez-le ! Mais la France sait aujourd’hui cultiver le kiwi et obtenir de beaux fruits. Certains en cultivent dans leur jardin. Il faut un peu de temps. C’est amusant. Nous savons aussi que parfois le fruit peut-être vendu trop ferme et qu’a contrario, il peut vite souffrir et trop mûr, son goût n’est alors qu’apprécié par Amélie Nothomb. Il n’empêche, sans mon kiwi du matin, mon humeur est dévastatrice pour mon entourage et par ailleurs mon dynamisme physique est hautement atteint.

Mais là n’est pas l’objet du débat. C’est seulement que je veux souligner l’intérêt pour moi de continuer à consommer ce fruit. Un par jour. Car il n’est pas toujours donné… Je suis donc indubitablement dépendant de votre geste professionnel qui a des conséquences négatives sur mon quotidien.

Le problème, vous l’avez compris, qui vous concerne cher Monsieur, est que vous vous évertuez à coller une étiquette sur chacun de ces fruits ! Si j’achète mes fruits de la semaine, chacun d’entre eux est étiqueté invariablement.

Il faut souligner sans langue de bois un problème lié à l’impact écologique de votre geste obstiné.

En effet, depuis peu, la réglementation exige et c’est une bonne mesure, le tri sélectif. Il est à présent imposé fort légitimement de trier ses déchets alimentaires.

Une rapide recherche m’a permis de noter que la Loi avait pensé à notre problème. En effet, La loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire prévoit : « Au plus tard le 1er janvier 2022, il est mis fin à l’apposition d’étiquettes directement sur les fruits ou les
légumes, à l’exception des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées » (article 80).

Je vous entends déjà me dire que vos étiquettes sont sans danger et conformes. Elles ne sont pour autant pas comestibles !

Une rapide expérience m’a démontré que plusieurs mois ne suffisent pas à ce que vos étiquettes se fondent dans le compost. Non, elles surnagent, elles sont là avec leur encre bien résistante à l’eau… Compostables ? Vraiment ? Permettez-moi d’en douter et je m’en gausserais si l’agacement ne prenait pas le dessus.

Donc, il me faut ne pas oublier de les ôter vos fichues étiquettes ou de plonger dans le compost si par mégarde j’en ai oublié.

Les insectes et bactéries ne veulent pas de vos étiquettes. Moi non plus !

Un esprit averti a noté sur son blog, “qu’au rythme de 5 fruits et légumes par jour et par personne, dans une famille de 4, faites vous-même le calcul : vous pouvez prétendre à une récole d’environ 5000 étiquettes par an, juste dans votre compost.”

Me voilà donc contraint par votre obstination à retirer chaque matin l’étiquette du fruit. Il faut y penser, se mettre de la colle sur les doigts, aller la jeter dans la poubelle dédiée, se nettoyer les doigts. Vous croyez que je n’ai que ça à faire le matin ?

Et tout ça pour quoi ? Car c’est là que nous touchons au plus ridicule !

Je ne lis jamais vos étiquettes !

Je suis même incapable de me souvenir de la marque mise en avant ! Le code non obligatoire censé dire d’où vient le fruit n’est pas vraiment lisible… La caissière ne scanne pas votre étiquette. Bref, vous travaillez pour rien et pire encore vous ajoutez à mon quotidien une micro-tache fastidieuse…

Voilà, c’est dit.

Je vous ai vexé ? Pardon, mais…

Certes, je pourrais développer ma créativité et avec ces étiquettes collectées composer d’artistiques tableaux à la manière de cet artiste trouvé lui aussi sur le net. Je vais peut-être m’amuser à ça en les collant au fur et à mesure sur une plaque de polystyrène récupérée d’un emballage quelque peu fastidieux… oui… soyons positifs… mais quand même… je sais pas, vous n’avez jamais songé à une réorientation professionnelle ?

C’est vrai qu’on ne colle plus tellement d’étiquettes… mais vous pourriez aller de maison en maison coller des étiquettes sur les pots de confiture. On pourrait coller des étiquettes rétros dans nos étagères à vêtements ou les bibliothèques… Je ne sais pas, si vous tenez à coller des étiquettes, il y a peut-être des possibilités à explorer… mais pas sur mon kiwi du matin, s’il vous plaît !

J’espère que mon message un peu discordant ne vous aura pas trop choqué et que vous comprendrez que j’en ai marre chaque matin de me coller les doigts avec vos étiquettes. J’espère que vous ne mettez pas votre salive dessus comme on fait avec les timbres, je trouve ça un peu dégueulasse, il y a encore des virus qui rôdent.

Veuillez agréer Monsieur le colleur d’étiquettes mes salutations les plus distinguées. Avec tous mes espoirs…

PS : pourriez-vous transmettre à la dame qui colle des étiquettes sur mes pamplemousses ? Elle est peut-être de votre famille ? À la longue, ça agace.

Bonne journée !

chardon bleu
Free thistle image“/ CC0 1.0

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