Sur la chaussée, un piano renversé
Les autos klaxonnent pour l’éviter
De son vélo d’acier descend le policier
Son carnet à souche pour verbaliser
Monsieur le piano à Queue vous êtes en travers !
De la chaussée aux pavés réguliers
En tant que policier, je suis en colère
Veuillez me donner, vos papiers !
Le piano, souffle rauque dans le caniveau
Ses pieds sont cassés, il ne peut remuer
La pluie vient à tomber et lui gèle les os
Il sent que ses cordes risquent de rouiller
Le policier hurle, les passants s’attroupent
La foule goguenarde se moque du piano
Ils s’en viennent tous à la mauvaise soupe
De la petite haine et tapent sur son dos
Le vieux piano à queue en perd les pédales
Ses petits marteaux claquent sur son métal
Il se sent seul et lourd, il a mal au mental
Personne n’a pitié, ni ne voit le scandale
Une enfant de douze ans qui passait dans la rue
Se précipite et hurle, soudainement émue
Que l’on frappe un piano renversé et déchu
Tout cela l’insupporte plus qu’on ne l’aurait cru
La foule qui voulait rire soudain voit sa méprise
Le képi de l’agent s’envole dans le ruisseau
Et l’enfant de douze ans qui allait à l’église
Prend son temps et se penche consolant le piano
Voyez la scène, une jeune fille sage, un piano antique
Un policier en larmes, une foule enfin sympathique
Et la rue sous la pluie où personne ne se dit
Que ce n’est pas normal un piano sans ami
D’où venait ce piano à la longue queue d’ébène
Et qui le renversa dans la rue des pavés ?
Comment en un instant séduisit-il Hélène
C’était le prénom de l’enfant qui le sauvait …
Toutes ces questions parfument l’humanité
Et depuis mon balcon j’en ai tant vu passer
Je me sens en ce soir un rien désaccordé
Même si je vois naître une belle amitié
Même si je vois naître sous les doigts de l’enfant
Des accords gracieux et un bel air chantant
Un policier touché, regrettant sa rudesse
Une foule parisienne soudainement en tendresse
Ne laissez pas les pianos abandonnés, glisser sur la chaussée mouillée !