Le gang des coachs et le vilain autodidacte

Publié le Catégorisé comme réflexions
ordinateur de travail
"Laptop Computer" by Tomasz Bazylinski/ CC0 1.0

Le gang des coachs et des experts est là pour faire douter le vilain autodidacte

— Ne dis pas ça malheureux ! Tu vas te faire blacklister et peut-être même hacker ! Et puis, le doute, ce n’est pas si mal non ? Cela t’empêche de connaître des erreurs.

Si de nombreux coachs sont plein d’empathie et nombre d’experts hautement pointus, on reconnaît plutôt les premiers à leur capacité à questionner et accompagner plutôt que dire leur vérité et les seconds à leur humilité.

Je parlerai un jour de la sur-représentation des coachs sur les réseaux sociaux. Ils sont pour moi les prêtres, les mages presque, d’aujourd’hui chargés de trouver la voie à notre place. Mais là, me viennent deux anecdotes que vous avez peut-être vécues vous aussi.

un café près de l'ordinateur  c'est dangereux !
Le café, célèbre ennemi des claviers d’ordinateur/ CC0 1.0

La formatrice au numérique

Il y a prescription. Mais je me souviens de l’un de ces premiers stages d’initiation au numérique que les enseignants recevaient. Seul ou à deux devant un écran, avec son clavier et sa souris. Nous étions loin du B2i… Pour certains, il y avait une véritable peur comme si d’un geste maladroit nous pouvions briser ce miracle technologique.

Il est vrai que le miracle consistait parfois à ce que les machines démarrent, ne se bloquent pas sur une quelconque mise à jour, un réseau toussotant ou simplement un vilain mot de passe crée par un méchant farceur.

Une dame officiait avec son programme ficelé étape par étape et noté sur fiche bristol dûment surlignée.

Autodidacte comme je l’ai souvent dit, je fais fréquemment des tas de bêtises. Y compris avec le numérique. Mais ce que la dame tentait de nous enseigner, je savais le faire depuis un moment. Aucune gloire ou exploit, nous étions dans des gestes simples qui feraient rire un enfant de dix ans, je pratiquais en cachette depuis un moment (en ce temps là les modems commençaient tout juste à chanter)…

Il se trouve que suivant scrupuleusement l’énoncé des étapes de la dame, vint le moment où je compris où elle voulait en venir et où je parvins à sauter le déroulé prévu et réussir la réalisation demandée. Sans attendre. Impatient !Je ne sais plus si c’était une figure géométrique, un petit programme de déplacement ou autre chose.

— J’ai terminé, c’est ça n’est-ce pas ?

— C’est impossible ! Je n’ai pas dit les étapes, répliqua la dame convaincue sans même se déplacer.

Puis reprenant les rênes de la classe, elle s’approcha de l’écran, à pas chassés, de biais, dubitative, un peu dégoûtée même.

Elle me demanda si j’avais déjà fait un tel stage ou si c’était déjà sur l’écran quand nous étions rentrés dans la salle.
Le plus discrètement du monde, je tentais d’expliquer que non, mais qu’ayant un peu manipulé, j’avais compris grâce à ce qu’elle suggérait ce qu’il fallait faire ensuite.

Intuitivement je ne me la ramenais pas. Elle bredouilla quelque chose et me pria non d’aller épauler certains de mes collègues qui transpiraient, mais de patienter.Et ne rien dire. Ne pas déflorer le sujet !

Plus tard, elle tenta de rallier mon adhésion à des exercices qu’elle proposait ensuite, un peu comme pour acheter le silence d’un traître potentiel dans la salle.

C’était une jolie illustration du rapport entre savoir et pouvoir.

Le coach dans le forum

Autre cadre, autre lieu. L’anecdote s’est reproduite au moins trois fois et encore il y a peu. Vous trouvez des forums d’aide et de conseils sur différents sujets que ce soit la santé, le crochet (que je pratique peu mais sait-on jamais) le sport ou le numérique.

J’étais une nouvelle fois dans le numérique. Comme le sujet est vite complexe et multiforme, qu’on peut assez vite y manier des termes très techniques, il est facile d’être désarçonné. L’une des difficultés dans les forums d’entraide consiste à prendre la parole avec sa question et son problème, savoir formuler son souci en étant assez explicite et précis et veiller à la qualité et au respect dans les échanges. Il arrive que certains qui demandent le fassent comme s’ils s’adressaient à des employés rémunérés, sur un ton qui ne serait déjà pas très sympa ni convivial, mais carrément odieux dès lors qu’il s’agit de dialoguer avec des volontaires bénévoles. Il arrive que vienne au milieu un interlocuteur avec « sa » question urgente et prioritaire… mais qui nous fait sortir du sujet.

Dans la plupart des cas, et presque à chaque fois j’ai découvert que c’était de vrais experts qui me parlaient, j’ai pu obtenir des réponses claires (souvent commençant par une question) avec une forme d’accompagnement (« essaie ça, tu me diras… ») avec le souci de s’interroger vraiment sur les causes d’un problème à la fois pour assurer son propre savoir et peut-être le faire évoluer à l’aune d’une expérience nouvelle…

Mais, il y a aussi le coach qui commence par une réponse très globale et basique. On pourrait le comprendre dans un souci pédagogique, mais des lors que les termes de la question sont assez précis et élaborés, on peut si l’on s’y connaît estimer assez vite le niveau du camarade « questionneur apprenant ».

Notez que c’est une stratégie employée par ceux qui vous répondent par exemple sur la hotline de votre fournisseur Internet. On commence par vous demander si le courant est branché… et vous poser toute une série de questions qui ne font que différer l’entrée dans le sujet avant le fatal… « je transmets votre situation au spécialiste qui va voir avec vous… » et vous redemandera la même chose…

Passée cette étape au petit goût humiliant (j’ai l’air à ce point niais qu’on me parle de chose aussi basiques ? ) et surtout si la question dérange un rien, voilà votre expert qui n’y répond pas directement mais en vient à évoquer toute une série de variables qui pourraient être la cause des difficultés et que ça peut être plus grave qu’il n’y paraît…

— Pourquoi tu ne t’adresses pas à un spécialiste qui pourrait voir et faire pour toi ?

— Parce que j’aime faire et comprendre par moi-même…

Et voilà alors que le discours prend des allures de plus en plus techniques, se fait un rien condescendant et vous noie sous une pluie d’informations dont vous savez d’ailleurs que beaucoup n’ont rien à voir avec le sujet. On vous prie de relire des documentations que vous connaissez, d’effectuer des manœuvres « que vous devriez savoir faire pour résoudre votre problème ». Oui. C’est fait. Depuis longtemps. Je n’ai pas appelé à l’aide au premier souci mais parce que malgré tout ce que j’ai trouvé auparavant, il n’y a pas de réponse disponible à ma question. Moins la personne en face ne sait vraiment répondre, plus son ton, même à l’écrit, monte légèrement avec ces petites pointes que nous percevons parfaitement même si l’interlocuteur est au loin.

Il viendra forcément ce moment, où naïf on se met à douter, on va vérifier si on a bien fait ce qu’il fallait, oui, mais oui… et même en travaillant à distance et prenant d’autres chemins, l’autodidacte a-t-il su, crime supplémentaire, se débrouiller tout seul et comprendre ! « — C’est bon, merci beaucoup ! j’ai trouvé ! « 

Non pas qu’une aide n’aurait pas été pertinente, pour gagner du temps, non pas que les méthodes empiriques soient les meilleures, mais parce que l’autodidacte a fait un pas en arrière pour regarder la machine et si ça pouvait « tenir » à l’aune de son expérience.

Parfois ça va vriller et coincer mais on peut s’en sortir…

Parfois aussi, on découvre que le coach énonce des choses sans savoir, sans les avoir éprouvées, ou avoir compris.

Son statut il l’exerce par le pouvoir et non le savoir. Peu de questions, peu de vraies réponses, mais la stratégie de l’avalanche, ou de la noyade de poisson en eaux troubles.

Il ne s’agit pas de lui instiller sourdement le complexe de l’imposteur. Je réponds toujours poliment… mais on voit bien le problème dès lors qu’on n’est pas clair dans son intention.

Je me souviens d’une personne qui avait fini par m’envoyer paître parce que de toute façon mon site n’était qu’un site de mmm….

A contrario, je me souviens d’un partenaire professionnel, un expert du numérique, avec lequel on travaillait bien car j’avais l’art de poser les questions « problématiques ». Au début il se demandait si j’étais l’emmerdeur de service. Plus tard on a pu rudement bien coopérer. Je suis devenu même le « bêta testeur » local. (Bon « bêta » quand même !)

Mes questions, cette curiosité, ce n’est pas de l’esprit critique au sens négatif du terme mais justement éclairé par cette capacité à oser « soulever le capot », j’ai toujours voulu savoir comment ça marchait et comment améliorer… Et ensemble nous cherchions les réponses aux questions qu’il ne s’était pas posées et j’ai beaucoup appris alors notamment sous forme d’apprentissage vicariant !

Quoi ? En plus j’ai des remontées ! Vite ! Coupez la machine ! Il va se remettre à parler pédagogie. On n’est plus tranquilles.

Par Vincent Breton

après avoir travaillé dans l'enseignement, je consacre une bonne part de mon temps à l'écriture. Je m''intéresse à l'idée de changer ma vie grâce à la poésie. J'écris un journal, de la fiction, de la poésie et des chansons.

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