Si je vous parle de ces langues étrangères vous pensez aux langues des autres pays. Certaines nous sont hermétiques au premier abord. J’admire celles et ceux qui aisément passent d’une langue à l’autre. L’autre jour, posant une question dans le domaine du numérique, une personne bien intentionnée me fit une réponse à laquelle je ne compris rien ou presque. On me parlait une langue étrangère supposant un apprentissage, des clés dont je ne dispose pas. Et j’ai pensé alors à toutes ces langues auxquelles nous sommes confrontés dans notre vie et qui nous laissent au bord du savoir, de la compréhension, peuvent nous donner un sentiment d’exclusion. À l’inverse, notre langue peut elle aussi exclure l’autre.
La langue scolaire
La langue de l’école n’est pas simple pour tout le monde. Elle est faite d’implicites, de rituels, de consignes. Le maître parle à son groupe et chacun doit comprendre ce qu’il lui faut faire individuellement. Oser questionner n’est pas aisé lorsque les autres semblent initiés. Il faut s’exposer au regard, au jugement. Les consignes sont bien mystérieuses.
Ces autres langues cabalistiques
Au collège, nous étions un très petit groupe à avoir la chance d’apprendre le grec ancien avec son alphabet, sa grammaire particulière. Langue étrange qui n’était pas faite pour être parlée. Nos amis regardaient cela d’un œil étonné.
Peut-être était-ce une question de sens que je ne trouvais pas, j’ai manqué des épisodes en quatrième pour entrer dans la langue des mathématiques. L’algèbre me laissa à la porte longtemps. Les quolibets des copains fusèrent. J’en ai souffert risquant mon avenir scolaire et je n’ai pas trouvé à l’époque d’âme charitable pour me remettre en piste.
Les règles du football furent longtemps et restent partiellement une langue étrangère. Je fus nommé chef des remplaçants.
Le solfège, si j’en comprends des bribes, est pour moi une langue dans laquelle je rentre mal. Il faudrait un professeur patient.
Le codage informatique, je n’en utilise que des bouts, sans comprendre vraiment.
Je suis confronté également à ces langues de spécialistes : là le médecin, ailleurs le plombier ou le garagiste… chacun me parle dans sa langue que je ne comprends que partiellement.
Il m’est arrivé de me retrouver au milieu de personnes signant leurs échanges. J’ai appris à me placer dans le cercle pour ne pas gêner la discussion mais là aussi, je ne possède que des bribes.
Dans les réseaux sociaux, certains emploient des termes qu’il faut décoder. Là du franglais, ailleurs des mots, des abréviations, des références appartenant à telle ou telle communauté. Ce n’est pas nouveau.
Les événements de la vie m’ont permis d’apprendre par exemple quelques éléments de la langue des gens du voyage. J’ai pu surprendre ainsi des familles de voyageurs, leur montrant que je comprenais les termes qu’ils employaient. Alors on est reconnu.
Dans l’enseignement, au-delà de l’abus d’acronymes, j’ai certainement souvent parlé une langue étrangère pour les parents, qu’il fallait transmettre aux futurs enseignants que j’accompagnais.
La courbe d’apprentissage
Face aux élèves, je savais que tout un travail consistait à élucider avec eux ces mille et uns secrets de la langue scolaire. Lorsque nous lisions un livre de littérature de jeunesse, je les invitais souvent, tels des enquêteurs à débusquer dans l’écrit ces secrets, ces implicites qui allaient échapper au lecteur non initié. La motivation pour apprendre venait de cette excitation de la curiosité mais aussi de la mise en confiance. Rien n’est insurmontable. Tout peut s’apprendre.
La langue poétique
Existe-t-il une langue poétique ? Il se peut que certains n’entrent ni dans l’alexandrin, ni dans la métaphore. Toute la difficulté de cette langue, tient dans le fait qu’il faut éviter l’écueil de l’ interprétation à outrance, dépassant l’intention de l’auteur. De même, le ressenti doit rester du libre arbitre individuel. Pourtant, certaines clés peuvent parfois être utiles et même nécessaires pour entrer dans le texte… comme dans une œuvre artistique au sens large…
S’adapter à son interlocuteur
Une difficulté est de comprendre, mais nous avons le devoir éthique de chercher à être compris. Traduire, nous placer dans l’accessible. Ce qui ne veut pas dire simplifier à outrance.
C’est l’adulte qui parle à l’enfant, le spécialiste à celui qui ne l’est pas dans tel domaine.
Il faut se départir de tout sentiment de hiérarchie, de vouloir se limiter au « happy-few » qui serait autorisé à entrer dans la petite communauté de celles et ceux qui savent. C’est aussi une nécessité démocratique. Avant même le rapport à la rationalité, à la vérité… c’est l’accès à la langue qui peut aider chacune et chacun à être elle ou lui-même tout en prenant sa place dans la communauté…
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