En sortant du cabinet de la nouvelle dentiste ce matin, je pensais aux trois derniers dentistes que j’ai pu rencontrer récemment, comme une sorte d’allégorie des groupes ou personnes que l’on peut rencontrer dans notre société. Peut-être reconnaitrez-vous le style de votre dentiste ?
Rien de moins poétique en apparence que ce qu’il peut se passer dans le cabinet du ou de la dentiste. Je trouve qu’il est très intime d’ouvrir sa bouche à un ou une inconnu-e qui sait décrypter à l’état de vos dents votre mode de vie, un peu de qui vous êtes… C’est une sorte de confession que d’aller chez le dentiste. Impossible de mentir et cacher si l’on est buveur de thé ou de vodka, fumeur ou accro aux pâtisseries et aux sucreries… On y est donc particulièrement vulnérable et il n’est pas si simple de s’y affirmer…
En 137ᵉ position
Ça c’est la place que j’occupe sur la liste d’attente de la dentiste près de chez moi. Véridique. Un peu plus plus loin aucun créneau chez les trois associés. Alors, il a fallu se résoudre à se rendre à 136 km de la maison pour trouver une dentiste pouvant me recevoir avant que je ne devienne totalement grabataire.
Même pas peur
En réalité, je n’ai jamais eu trop peur ni souffert en allant chez le dentiste. Je trouve que c’est un métier difficile, l’épreuve c’est de rester longtemps la bouche ouverte bien que ma chère grand-mère disait autrefois : « il est plus facile de rester la bouche ouverte que le bras tendu ». Mais je crois qu’elle parlait d’autre chose…
Cabinet n°1
En Bretagne, j’étais d’abord allé dans un cabinet en ville. Je n’avais pas fait attention, c’était visiblement le lieu des gens distingués du patelin. Pour entrer dans la salle d’attente il fallait chausser des chaussons. Tout y était moderne, parfaitement aseptisé, silencieux et froid. Tout juste si on ne vous stérilisait pas avant d’entrer. Un lieu chicos avec de belles revues.
On manqua de m’oublier, on me reçut avec autant de froideur que les locaux et avant même que je ne puisse ouvrir la bouche pour tenter de m’exprimer, on m’imposa une radio que l’on me mit ensuite sous le nez comme si j’étais un repris de justice.
— Ah là, là, mon pauvre monsieur, vos dents de devant vont tomber, il faut que de toute urgence je vous greffe des implants, sinon sous moins d’un an, tout va choir, c’est ainsi, vous n’êtes plus tout jeune… ce sera quatre mille euros au bas mot… pour le devis à prix réduit…
Je remerciai la dame dont le ton péremptoire calma toute ardeur et décidai de rompre toutes affaires cessantes. Adieu monde luxueux. Aucune jalousie d’ailleurs. Vulgarité des parvenus.
Non mais. Je suis « pauvre » mais fier…
Cabinet n°2
La secrétaire revêche défendait bien sa patronne. Nous étions à la campagne, toujours bretonne. Il me fallut négocier ferme pour obtenir un rendez-vous après huit mois dans un bourg situé loin de la côte.
La dame était de ces personnes qui travaillent en petits épisodes, donnant des rendez-vous de vingt minutes tous les quatre mois. Une façon de fidéliser la clientèle.
Très peu pédagogue et si on ne demande pas que la fougue de la passion des premiers jours anime le praticien, un rien d’enthousiasme rassurerait le passant. Il fallait lui extirper les informations avec plus de difficultés encore que les comédons du nez d’un collégien ou une dent de sagesse que je n’ai jamais eu.
Elle n’avait pas aimé que je ne choisisse pas le devis numéro 3. Le luxe au fond de la bouche. Pourquoi pas une dent en diamant ?
Le déménagement mit fin à notre relation. Elle ne sembla pas trop affectée de mon départ.
Je la laissai dans son petit monde d’habitudes.
Cabinet n°3
Je suis arrivé, on aurait dit la récré dans le couloir. Une bande de jeunes dentistes y devisait joyeusement dans la bonne humeur. Ce devait être le temps de pause. Le lieu est partagé entre plusieurs jeunes dentistes autant de filles que de gars. C’est propre et fonctionnel, mais c’est chaleureux. Vous arrivez, on vous accueille. Peut-être l’accent toulousain est-il pour quelque chose dans la convivialité ? On me fit une haie d’honneur.
Oui… mais ça ne fait pas le bon praticien ça…
Alors, je ne suis pas expert, mais je fus gentiment épaté de l’accompagnement et de la pédagogie intelligente à laquelle j’eus droit.
D’abord une véritable écoute, une attention à la douleur, au contexte, à l’histoire, à la personne… pas l’interview minute…
Puis, si l’on fit une radio, ce fut une explication m’associant. Je me sentais progresser dans la connaissance des gencives… On me demanda si j’avais des questions avant de débuter le protocole… comme on dit, la dentiste avait obtenu mon « consentement éclairé »… Plutôt de bon augure.
Des gestes professionnels prévenants… Si la praticienne n’exerce peut-être pas depuis des lustres une bonne aptitude à faire attention, à expliciter le changement d’outil et pourquoi… L’impression de ne pas être transformé en objet dans les mains médicales.
Optimiste ?
Je suis sorti des lieux plutôt rassuré en me disant qu’on était là dans ce que la médecine sait faire de meilleur en matière d’écoute, d’empathie et de respect.
Pas le sentiment d’être chez un commerçant comme dans le premier cabinet, ou d’être chez un professionnel moins chaleureux qu’un garagiste avec une voiture à réviser, mais d’être chez des personnes mariant bonne humeur, souci de bien faire, disponibilité.. éthique quoi.
Et la poésie dans tout ça ?
Je prétends qu’elle était dans la haie d’honneur et les sourires, dans la bonne humeur traversant les lieux et généreusement contagieuse, dans une forme de générosité qui consiste à bien aimer faire ce que l’on fait…
Nul doute qu’isolé-e chacune et chacun d’entre eux serait probablement moins dans ce plaisir, dans la richesse de l’échange, dans le partage de conseils peut-être…
Et ce qui est valable pour les dentistes, l’est pour les maîtres des zécoles de la république ou tant d’autres qui travaillent auprès du public…