Le texte s’est improvisé tout seul. Puis un soir, dans l’intention de le lire à haute voix, il s’est chanté tout seul, le voici dans son jus en une prise directe….
Perdu
Je suis perdu
Sous mes paupières closes,
La lumière me transperce
La pierre posée à la croisée des chemins
Debout
Me désigne
Dans ce creux de roche,
Ma pensée
Immobile et froide
L’eau croupit, fade
Dans le champ d’à côté
Sont arrivés,
Le cheval noir,
Le cheval blanc
Ils broutent méthodiquement
Ce qui me restait de brume et de rêve
Je n’y parviens pas
Je ne me résume pas
Le regard perdu
Dans la petite flamme d’une bougie
Flamme de sang
Je suis perdu
Je me suis perdu
Le chemin était escarpé
La nuit est tombée
Si vite que mes mains ne savent plus que se laisser mordre
Aux branches
Aux ronces
L’écorce du chêne est froide
Le ciel
Sombre
Mes mains
Muettes
Les oiseaux se sont tus
Pas un murmure sous la ramure
Rien qui ne me rassure
Que l’usure de ma semelle
Je ris
Je ris d’un sale rire de crécelle
Et mon abominable rire se cogne à la falaise
Ce n’est pas de la douleur
La couture d’une cicatrice
Ne fait pas le souvenir
Il ne restera rien
Je suis perdu
La boussole est sèche
Les étoiles silencieuses
Restent d’encre
Et l’océan étal ne défait plus sa laisse
Que sur le cadavre de dauphins morts
Je suis perdu
Je me suis perdu
Mon enfant a les reins brisés
Il gît
Sous la cadence infernale du siècle
Mon petit garçon
Mon enfant secret
Mon petit garçon est mort
Toi qui m’enfantas un jour de décembre
Entre les jambes lourdes du squelette maternel
Tout se brisa dans l’odeur amère du placenta
Tu n’aurais jamais dû rester dans cette pièce
Je marche,
Je marche encore
Je suis perdu
Je me suis perdu
Qui a déposé une petite pierre sur ma tombe
Et ne sait pas faire la paix ?
Qui a marché sur le visage de tous les enfants morts
Qui nous regardent
Étoiles aux yeux crevés ?
Enfants sans comptines ni psaumes
Enfants qui psalmodient en cadence
Tandis que la nuit nous encercle
Et que les loups sortent honteusement
Parce que les loups ont la honte absolue
Mais ils se fondent dans la nuit
Ils ont tiré par les jambes le cadavre de mon enfant
Et le dévorent
Je suis perdu
Je me suis perdu
Dans la nuit, je vois, les yeux brillants d’un jeune loup
Qui me fixe, avec patience