Georges Brassens X, n’a rien à voir avec un triste réseau social ou un genre. C’est son dixième album. Peut-être mon préféré, à la fois parce qu’il nous donne à voir un Brassens au sommet de son art et parce que ce disque fut le premier de chansons pour « les grands » qu’on m’ait offert. Je le possède toujours. Admiration !
Un disque Philips de 1969
Sur l’Internet, on le vend pour pas cher cet album. Brassens reste vénéré et apparait comme une sorte de mythe… mais dans le même temps, on l’évoque peu, on le passe très peu à la radio. Comme s’il avait été relégué au musée.
Il y a bien des reprises, certaines très heureuses, d’autres un rien aseptisées… c’est que l’affaire est plus difficile qu’on ne l’imagine au départ…
Celui là, le 10, classique dans sa facture est pour moi l’un des plus abouti, l’un des mieux écrits, des plus rigoureux et précis. Mais ses chansons ne sont pas forcément les plus connues.
Pierre Nicolas à la basse, Barthélémy Rosso à la guitare accompagnent Brassens et c’est tout. Excusez du peu, c’est René Fallet qui commente les chansons. René Fallet c’est l’écrivain, celui du Canard Enchainé, c’est aussi et surtout l’un des meilleurs amis de Brassens.
Si l’album est admirable, c’est que Brassens y propose des chansons dans le sillon des grands poètes. Même lorsqu’il joue de la provocation, avec « Mysoginie à part » où il répète « elle m’emmerde » et ses dérivés une trentaine de fois, il ose l’allusion à Claudel. Et le tout reste raffiné et drôle.
Gamin, je fondais pour la grâce de « Bécassine ». Le personnage de « l’Ancêtre » touchait, tandis que « Rien à jeter » est le summum du romantisme à mes yeux. « La Religieuse » faisait rougir les enfants de chœur, mais rien de graveleux.
« La rose, la bouteille et la poignée de main » est simplement une merveilleuse fable, hélas toujours actuelle (aujourd’hui on nous parle d’empathie…).
Chaque texte est équilibre et richesse. Et Brassens sait avec sa modestie coutumière servir les mots sans emphase ni dérive. Il faut le reprendre aujourd’hui avec retenue pour que la portée de ses mots éclate.
C’est du très grand et les mélodies faussement simples sont là. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai pu écouter ces chansons et à chaque écoute y plonger avec délectation : on a beau connaitre par cœur, c’est une redécouverte, un enrichissement renouvelé, un élargissement.
Il a touché l’éternité. C’est un peu mieux qu’une chanson à la mode…
Si toute oreille peut s’en enrichir, il ouvre une porte vers la Poésie et la littérature. On est en connexion avec Hugo, Lamartine, Musset ou Villon… pas besoin de chercher à faire « de son temps » pour viser juste.
Mon premier disque de « grand »
J’allais entrer au collège ou je venais d’y entrer. J’ai eu dix ans en sixième. Cet été là, mon « oncle d’Amérique » était venu accompagné de sa petite famille visiter mes grands parents en Provence. Nous étions allés à Manosque, « la grande ville » du coin. Généreux comme il était toujours, il voulut m’offrir un cadeau. Nous étions chez le disquaire. À cette époque il existait des disquaires qui vivaient en vendant des trente-trois tours et des quarante-cinq tours. On trouvait de la « variété » mais la chanson française avait sa pleine place. Il y avait « le choix ».
D’ailleurs des émissions de télévision ou de radio comme le Grand échiquier de Chancel, celles de Guy Béart, de Denise Glaser ou d’Hélène Martin nous permettaient de découvrir des chanteurs autour de Brassens, Ferré, Brel ou Ferrat, Barbara, Moustaki, Anne Sylvestre et tant d’autres… Profusion de talents ! Il y avait même des soirées de réveillon animées par Graeme Allwright… Ça fait ancien combattant de dire ça, mais aujourd’hui, la chanson poétique française est bannie d’antenne. Trenet et Ferré ou Nougaro se retrouvent … pour illustrer de la publicité ! Il y a de belles choses qui atteignent le grand public, mais cela reste minoritaire, fugace, le lien avec la poésie française est ténu voir absent, l’écriture souvent bâclée au lexique étriqué (voilà je me suis lâché) … Il n’y a plus de Françoise Mallet-Joris pour écrire des chansons… Le fric commande plus que jamais… et il n’y a plus de disquaires mais une industrie féroce… Le Brassens de 2023 peine à se faire connaitre sur les réseaux sociaux… espérons qu’il existe quelque part…
Je connaissais déjà Brassens enfant. Mais pas ce disque là. Quand je le tendis à mon oncle, il s’en émut un peu. Brassens quand même, pour un môme ! Il y avait un côté sulfureux… je crois qu’il demanda l’autorisation à ma mère qui depuis longtemps avait levé toute censure. J’obtins donc de disque en cadeau. Merci !
Quel bonheur ! Je crois bien, si je cherche dans ma vieille mémoire, que c’est probablement l’un des cadeaux qui me fit le plus plaisir… D’ailleurs je le possède toujours. Et d’abord parce qu’il était donné avec cette générosité incroyable de mon oncle. Ce n’était pas son prénom, mais même sa femme l’appelait « Garcia ». Et Garcia c’était l’énergie et la générosité, une sorte d’encouragement et de reconnaissance d’autrui absolument incroyable pour le gamin timoré que j’étais.
Encore ce soir
J’ai changé la courroie de la platine. Les disques commençaient à pleurer. Et s’il craque un peu, ce qu’il faut, le vieux trente-trois tours tourne sans souci, aucune chanson n’est rayée… et il m’accompagne bien en place depuis un moment.
Parmi mes albums « fétiche », il reste tout en haut, au sommet et je ne trouve rien de plus réconfortant que son écoute…