Non, ne critiquez pas les enfants ! Si je dis ça, c’est qu’à plusieurs reprises et de façon réitérée je lis sur divers réseaux sociaux des propos assez terribles à propos des enfants. Nous sommes dans une société réactionnaire tentée par l’autoritarisme. Après les étrangers que l’on veut exclure, ce sont les enfants que l’on veut faire rentrer dans le rang du conformisme et de l’obéissance, oubliant qu’ils ont besoin d’éducation et d’attention pour pouvoir s’émanciper…
C’était pas mieux avant
« La guerre des boutons », ça vous dit quelque chose ? Le livre de Louis Pergaud a été publié en 1912 ! Ce qui est raconté par cet instituteur n’est pas un monde à l’eau de rose…
Ce n’était pourtant pas le laxisme dans les familles…
Gamin, j’ai souvenir aussi de harcèlement, de violences et dans les années soixante, nos maitres étaient plus craints que respectés (sauf le dernier formidable). Le premier que nous avions dans notre école de garçons, tirait les oreilles. Peut-être pour que nous lui ressemblions avec ses oreilles à lui bien décollées ?
Les cancres étaient relégués en fond de classe. Ils avaient redoublé. Ça ne servait à rien, on leur resservait la même soupe froide. Alors ils faisaient des bêtises.
Je n’étais pas mauvais en classe. Le cancre fut vite mon ami. J’ai plus appris de lui que du prétentieux premier de la classe déjà expert dans l’art de passer la brosse à reluire au maître et dénoncer les copains tel l’Agnan du Petit Nicolas.
Au collège, chacun dans sa filière, certains allaient quitter l’école à la fin de la troisième dans l’espoir d’être pris en apprentissage dans l’entreprise de leur père, d’autres se voyaient proposer une voie professionnelle qui ne les enthousiasmait guère… peu nombreux iraient au bac.
Il y avait des filles qui « avaient des ennuis ». Je me souviens d’un professeur en cinquième qui en avait traitée une de « putain » devant toute la classe parce qu’il l’avait vue embrasser un garçon sur un banc de la ville… et en même temps, il avait tenu des propos assez libidineux… mais qui aurait osé réagir ?
Jamais une claque
Il n’empêche, ma mère qui avait lu et respectait les personnes, nous a élevés sans jamais donner une claque. Les limites étaient posées sans violence, dans la clarté, elle expliquait mais ne négociait pas : en grandissant, on obtenait le droit d’aller se coucher un peu plus tard. Un plat ne nous plaisait pas, nous étions autorisés à ne pas le manger… mais il n’y aurait rien d’autre… de fait c’était pas un problème, c’était bon !
À l’âge de 12 ans, ma mère me demanda si j’aimais avoir des chemises repassées. Elle me montra le fer et la planche. Et je me suis lancé.
Et chaque jeudi, puis mercredi, je pouvais acheter un journal ou un livre…
On avait un avenir
Nous n’avions pas peur de voir le monde s’effondrer. La pollution commençait à nous préoccuper mais nous ne comprenions pas la gravité de l’évolution à venir. On voyait l’an 2000 de loin, comme un objet non identifié…
Nous avions moins peur de l’avenir que de l’oppression giscardienne qui ressemblait pour beaucoup à celle d’aujourd’hui…
On osait avoir un idéal, être pacifistes et croire en l’amour.
Mais on n’avait pas forcément le droit d’aimer qui nous voulions et les souffrances pouvaient être très fortes…
Gamin d’aujourd’hui
Comment un enfant d’aujourd’hui se voit-il dans dix ans ? L’énoncé des catastrophes à venir chante à ses oreilles. La compétition que d’aucuns osent appeler la méritocratie vise à renforcer l’individualisme là où il faudrait plus que l’empathie enseigner concrètement la solidarité.
Ils ont bien du courage les mômes d’aujourd’hui qui vivent dans certains quartiers, avec la précarité, le chauffage qu’on réduit ou supprime, les repas sautés…
L’abus d’écran est un palliatif affligeant, on les prive de mots, on s’étonne qu’ils ne respectent rien, ni eux, ni les autres… mais ce n’est que du désarroi qui gesticule. Il ne s’agit pas d’interdire, mais de proposer autre chose. Qui donc a asphyxié les colos et les associations qui aidaient les mômes en leur coupant les vivres ?
Je lis des propos de vieux grincheux contre les enfants et pas seulement ceux des zones pauvres… ces propos sont tenus parfois par des enseignants qui se réfugient dans les pratiques les plus archaïques pour cristalliser leur propre difficulté à être face à ce public qu’il suffit de faire parler un peu pour comprendre qu’ils perçoivent beaucoup plus que nous ne l’imaginons nombre de difficultés du monde…
Ils ne sont ni bêtes, ni nuls, ni méchants. Ils font ce qu’ils peuvent pour grandir et ils ont besoin d’autre chose que des sermons.
Du savoir savoureux, de la poésie !
Ils ont besoin qu’on leur livre les secrets du savoir, ce savoureux savoir des mots. Ils ont besoin de la poésie à la fois pour se centrer, cultiver leur mémoire, dire et partager leurs émotions et vivre le moment présent… se centrer…
Tiens, je me souviens soudain de ces mômes de la rue de Tanger, quasi tous du quart monde, qui avaient appris par cœur des pages de Victor Hugo : « Gavroche c’est nous ! » avaient-ils dit.
Ils n’ont pas besoin d’uniformes, de groupes, de classements… ils ont besoin d’interactions, de bienveillance, de stimulation, d’exigence, d’apaisement, de confiance… et qu’on les laisse jouer, prendre la parole et lire !
Ils n’ont pas besoin qu’on les discrédite, qu’on les malmène, qu’on les enferme dans des rôles qui ne sont pas les leurs…
Je sais
Je ne fais que glisser mon coup de gueule dans une sorte de vide. Le ressentiment a si bien fait son nid dans les cerveaux. Il est une maladie pour laquelle aucun masque, ni confinement, ni vaccin existe…
Si facile de discréditer autrui, de se voir supérieur…
Mais au moins, et pas tout seul heureusement, je suis et resterai « de leur côté ». Parce que les personnes qui m’ont le plus enseigné, même quand j’enseignais… c’était bien les mômes.
Et ça n’a rien de démagogique…