On dit souvent que ce que nous vivons le jour influence nos rêves. Mais je crois que l’inverse est vrai aussi. Les rêves influencent ma journée. Ils lui donnent une couleur et parfois vont jouer sur son climat. C’est la réflexion que je me faisais ce matin devant surmonter un rêve étrange …
Les deux versants de ma vie
Higelin chantait, « je vis pas ma vie, je la rêve ». Dans la journée, je peux vivre des états de rêverie plus ou moins influencés par ce que je vois ou ce que je fais… Mais l’action domine et les interactions avec le vivant, les autres, s’inscrivent dans un espace où j’agis volontairement et dans un temps que je ne peux interrompre mais dont je peux structurer les séquences… Lorsque je dors, je consens à l’abandon dans le sommeil. Je me défais du choix de l’action et je laisse le cerveau prendre les commandes…
La vie éveillée réserve ses surprises, ses accidents… mais j’écris le scénario. La vie des rêves, je suis acteur mais ce n’est pas moi le metteur en scène, ni l’inventeur de l’histoire.
Mon cher cerveau va puiser à la fois dans ce que j’ai vécu mais aussi inventer des situations inattendues bousculant l’espace et le temps.
Un grand scénariste
Bien meilleur que le meilleur auteur de série ou de romans, mon cerveau ne s’encombre pas de préjugés et n’a pas peur des effets spéciaux.
Je ne me souviens évidemment pas de tout ce dont je rêve. Je retrouve parfois des personnages morts ou qui n’auraient jamais dû se rencontrer… Il arrive qu’un ou une inconnu-e croisé un jour s’y retrouve comme peuvent y venir des personnages imaginaires dont je ne sais rien (si ce n’est que parfois je tenterai de les guetter dans « la vie réelle »)…
Je ne rêve jamais de situations du passé où je me retrouverais à un âge du passé… Si je rêve d’un épisode du temps de l’enfance, c’est moi, le même qu’aujourd’hui déjà… Il y a une sorte d’unité et de continuité. Dès lors que j’ai eu conscience de qui j’étais, il n’y a pas eu de rupture entre les âges… Mon propre corps n’apparait pas, ne se visualise pas autrement que dans les sensations. C’est la force de cette unité du « moi » qui me place en continuité avec ce fameux « enfant intérieur »… qui n’est pas un autre… sinon, on devient poupée russe ou risque certaines maladies mentales…
Mes rêves sont en couleurs, en odeurs, en touchers… en sensations.
Mon cerveau invente souvent des situations incongrues.
Je suis longtemps retourné dans l’ancien appartement parisien où j’avais oublié des livres… avec la peur de tomber sur le nouveau locataire ou le propriétaire…
Longtemps aussi, j’ai rêvé de Laurent D qui était dans la même école que moi chef de la bande « des méchants ». À l’époque, il me faisait peur. J’étais le chef de la bande des gentils avec des amis qui n’aimaient pas jouer des poings. Laurent avait l’œil brillant, le cheveu ébouriffé, un côté provocateur et sarcastique, une certaine violence. Et pourtant dans les rêves, nous nous retrouvions meilleurs amis du monde. Complices, fraternels… Ainsi, dans mes rêves, cet ennemi du quotidien était-il devenu mon meilleur ami. C’est par le rêve que j’ai compris que je l’aimais beaucoup et qu’en réalité nous ne rêvions que d’être de vrais amis.
Dans cette « vie rêvée », ce sont souvent des personnages « secondaires » de la vie réelle, auxquels je ne pensais pas avoir prêté forcément d’attention particulière qui apparaissent au premier plan… C’est toujours étonnant de me dire alors que là aussi, des personnes comptent plus que je ne l’imaginais…
Quand je dis que mon cerveau est un grand scénariste, c’est qu’il m’a donné des supers-pouvoirs (voler dans le ciel), m’a permis de me retrouver dans des univers incroyables (au sommet de montagnes, dans de grands palais en Asie ou dans d’autres mondes … )
Parfois, il me renvoie à de vieilles histoires assez anecdotiques mais compliquées , des histoires d’agenda, de choses à faire, d’oublis, de réunions… vieux reliquats qui remontent encore de mon dernier métier. Plus drôle encore, je me suis souvent retrouvé au moment de mon « départ à la retraite », à faire la classe dans une école où j’ai longtemps exercé et des inspections dans des secteurs inconnus et délaissés… Il fallait que je retourne travailler…
Quelques autres rêves aussi où je peux vivre des situations embarrassantes, comme par exemple devoir improviser une conférence devant une salle immense mais finalement trouvant les mots… ou me perdre sur des routes inconnues en voiture et ne jamais retrouver mon chemin…
Réveil brutal
Parfois, quand la situation est insupportable ou que le petit matin approche, interrompant brutalement le rêve, c’est le réveil… Je suis alors naufragé jeté sur la plage, expulsant l’eau de mes rêves et cauchemars…
Je me retrouve arraché brutalement, rejeté et il me faut quelques secondes entre les bribes du rêve qui s’évapore et la prise en compte de la réalité de la vie quotidienne…
D’autres fois, j’ai pu être libéré en douceur, comme si on me relâchait après une belle histoire ou une belle expérience… Je me sens content et apaisé, enrichi…
Avec les bribes plus ou moins retenues, je tente parfois de renouer avec ce monde onirique ou de l’analyser… Pourquoi ça m’est venu ? Mais déjà les souvenirs s’estompent…
Quelquefois j’en suis à des palpitations, des sueurs, des sensations physiques pas forcément agréables et je dois récupérer avant de m’extraire et sortir du lit… Il va falloir surmonter ce désagrément avant d’affronter la journée. Ne pas se laisser influencer négativement.
Tout le monde connait un jour où l’autre ces sensations. Certains trichent un peu en tentant de rester dans les sensations les plus agréables…
Dimension poétique
Si certains cherchent à interpréter leurs rêves, je m’en tiens le plus souvent à l’étonnement : untel auquel je ne pensais plus réapparait, tel lieu, telle situation… Je suis étonné lorsque se rencontrent des personnages de ma vie qui ne se sont jamais rencontrés, qui n’auraient pu le faire…
Ce qui me frappe, ce sont plus encore que les situations, les décors… On est souvent très proches de l’ambiance des contes. Petit j’ai eu la chance d’en entendre et d’en lire beaucoup. Ils étaient parfois assez forts… Les contes constituent une belle école pour notre inconscient et pour poser un certain nombre de tabous… Nos désirs profonds s’y trouvent…
Je retrouve souvent dans les rêves cette dimension, cette couleur. Et j’aime pouvoir me laisser porter dans l’espace poétique des rêves, dans ces limbes mystérieuses… Il s’agit alors de se laisser traverser, sans vouloir tout rationaliser…
Au fond le cerveau fait son travail entre révélations et rangements, entre rappels et « leçons » … mais il ose aussi la poésie.
Reprendre la main
Il m’arrive de mettre de côté un rêve un peu envahissant. Quelque chose est apparu, a été dit, m’a été révélé… Je ne suis pas de celles et ceux qui écrivent le journal de leurs rêves. Je suis prudent avec la symbolique des rêves ou leur interprétation qui relève souvent de la supercherie…
Certainement quelques épisodes viendront-ils se glisser dans un écrit de fiction, quelquefois à mon insu…
Il faut penser à retirer le filtre du dernier rêve avant d’aller dans la journée. Comme des lunettes de soleil à ne pas garder sur le nez…
On tente alors de se reconnecter à la vie et aux humains de la « vraie vie ». Il arrive que l’un ou l’autre perçoive ce changement indicible, le rêve qui a transformé…
On boit alors son café, un arrière-goût de rêve dans la bouche… et cette petite couleur infime, presque insignifiante, va pourtant teinter la journée…
En savoir plus sur Vincent Breton
Subscribe to get the latest posts sent to your email.