Aujourd’hui le Web est principalement animé par les réseaux sociaux avec leurs algorithmes et les moteurs de recherche, surtout l’un d’entre eux. Tout ça fait du mal à la curiosité. De fait cela affecte l’espoir de sérendipité, comme la connaissance. Faire passer notre approche du numérique par le filtre exclusif des moteurs de recherche est mauvais pour la curiosité et même l’intelligence.
Compétition, commerce et conformisme annihilent la créativité, l’inventivité et l’ouverture d’esprit. Des pistes pourraient aider à ne pas capituler.
La dictature du SEO
Aujourd’hui la profusion de données numériques fait que pour « émerger », un message sur un réseau social doit « attirer » ou « faire le buzz ». C’est la dictature du « clic » qui valorise le bruit, le scandale, le sensationnel, avec pour conséquence d’invisibiliser alors d’autres messages et points de vue… La nuance par exemple est quasiment exclue des réseaux…
Un site ou un blog doit lui « être optimisé pour les moteurs de recherche ».
C’est le fameux SEO (Search Engine Optimization) qui signifie en français : « Optimisation pour les moteurs de recherche ».
Sur le papier, on se dit que c’est plutôt bien qu’un site soit lisible et structuré pour que le lecteur le trouve et s’y retrouve, puisse y accéder sans problème. C’est affaire de forme et de fond.
Ce site est d’ailleurs optimisé…
Je vous passe les principes techniques qui font que pour écrire un article, un auteur doit penser d’abord « au mot clé » qui va guider sa rédaction. Ce mot clé est-il déjà recherché ? Par qui ? Pour quels contenus ? Quelle plus-value ?
Les mots clés doivent revenir dans le texte, celui-ci doit avoir une certaine longueur mais les phrases doivent être courtes. De nombreuses règles sont définies et des « experts » se proposent d’aider les sites dans la rédaction de leurs contenus pour qu’ils puissent arriver en tête des pages de recherche… et ce n’est pas uniquement, loin s’en faut, la qualité réelle du contenu qui prime alors… mais surtout son emballage ou sa présentation…
Dans ce contexte, d’ailleurs l’intelligence artificielle, bien programmée, peut proposer des contenus qu’elle ira en réalité prélever et adapter de l’existant quitte à ce que l’auteur ajoute sa petite touche pour tenter de se distinguer…
Outre le fait que certains disposant de moyens, vont pouvoir optimiser au maximum leurs contenus pour le Web et obtenir la première place quitte à payer, on voit que le système pose vite des problèmes.
Il est fondé sur le principe de « répondre à une recherche », à une demande initiale…
Il s’agit donc d’être « utile » et d’apporter une information pertinente : je cherche un électricien, je voudrais connaître l’heure de la séance au cinéma ou même apprendre la classification des champignons.
Assez vite d’ailleurs, si je ne veux pas être submergé, je dois savoir assez précisément ce que je cherche…
Google et son moteur de recherche mettent en œuvre des règles qui valorisent certains contenus et renvoient d’autres en fin de liste. Les moteurs alternatifs, les annuaires d’antan… sont assez peu valorisés et peinent à se faire connaître. Les blogueurs échangent parfois des liens, mais cela reste dans l’entre-soi…
On ne surfe plus sur le Web
Aux débuts de l’Internet, il fallait prendre le temps, mais on était souvent surpris par de nouveaux contenus… Il était possible d’accéder à des connaissances auxquelles on n’avait pas pensé initialement, un peu comme lorsque visitant une librairie ou une bibliothèque universitaire, cherchant un livre, on tombe sur un autre et on élargit alors son horizon de recherche.
Aujourd’hui, on veut une réponse rapide à sa question… pas à la question que l’on ne s’est pas posée et qui pourtant est peut-être rudement intéressante… et peut-être plus !
La force de l’école
Rappelons au passage la force de l’école : si elle sait ne pas se limiter à une approche bêtement utilitariste, l’école propose à l’élève d’accéder à des connaissances auxquelles il n’aurait pas pensé. Certes, les programmes guident la progression, mais par exemple, la découverte du grec ancien fut pour moi l’approche d’un univers qui m’était étranger et permit d’ouvrir mes connaissances au-delà même de la première approche d’une langue dite « morte ». Apprendre le grec ancien, c’est mieux connaître notre langue et la syntaxe comme le lexique français, c’est comprendre l’influence d’une civilisation sur notre monde actuel y compris du point de vue moral, philosophique ou scientifique. De moi-même, enfant, je ne serais pas allé spontanément vers cet apprentissage. Beaucoup de mes copains disaient que « ça ne servait à rien ».
Il en va de même de la plupart des domaines proposés par l’école, l’idée étant d’ouvrir à des connaissances qui n’auraient pas été disponibles ou accessibles à la maison…
Une des raisons des difficultés de l’école aujourd’hui, c’est qu’on ne sait plus valoriser les connaissances pour elles-mêmes, en les rendant savoureuses… En focalisant sans réussir d’ailleurs sur les seuls apprentissages fondamentaux, on ne donne pas de sens à ce qu’est l’apprentissage, on ne met pas les connaissances en perspective, on ne montre pas que le savoir permet de s’émanciper… La révolution numérique nous donne l’illusion que nous pouvons plonger dans une mémoire de substitution alors qu’en réalité, pour trouver ce que l’on cherche et accepter d’apprendre ce que l’on ne cherche pas, il faut de la méthode et des connaissances comme une réelle disponibilité d’esprit.
Trouver des réponses à des questions que l’on ne se pose pas, réapprendre la curiosité
La mise en compétition des sites est commandée par le commerce. Pour vendre (ou se faire connaître), il faut plaire. Pour plaire, il faut flatter le plaisir, éviter de déstabiliser et c’est le conformisme et la massification qui dominent.
Tout enseignant sait qu’il n’est pas facile d’enrôler l’élève dès lors que la connaissance est trop éloignée de lui… Il faut aller chatouiller la zone proximale de développement chère à ce bon vieux Vigotsky.
Si je veux trouver une réponse à une question que je ne me posais pas forcément au départ, si je veux pouvoir découvrir de nouveaux univers, explorer, apprendre… il faut que j’accepte de me perdre un peu, d’y passer du temps, de ne pas tout comprendre, d’être surpris…
Il faut que je puisse me rendre disponible à la découverte, à l’inattendu.
Cela suppose aussi que j’accepte l’effort, ne serait-ce que celui de la curiosité en refusant qu’Internet pense à ma place…
Cette approche est valable pour la découverte de l’autre, pour ce qui concerne les arts et la culture…
Le combat est-il là aussi perdu ?
Je fais le pari que l’excès de violence va faire évoluer les réseaux sociaux ou les transformer via d’autres approches. Twitter devenu X est en chute, sur Threads les contributeurs tentent de résister de façon parfois naïve mais au moins se démarquent, dans les instances Mastodon, si l’on ne sait pas toujours dépasser les limites de l’entre-soi, on montre que d’autres modèles sont possibles… à la condition de maintenir une exigence éthique.
Entre les sites qui drainent les foules, des petits sites à la durée de vie limitée, il n’est pas simple de proposer des chemins de traverse et de donner de la visibilité à des productions parfois marginales ou qui ne répondent pas aux critères du SEO.
Par exemple, un poème mis en ligne ne permet guère de structurer un article dans une forme qui le rendra visible. Le titre peut être énigmatique, la mise en page déroutante pour les robots, le thème ne pas répondre à un mot clé…
Il en va de même pour un site d’artiste peintre dont les œuvres non connues ne seront par nature pas recherchées au départ…
Les moteurs de recherche alternatifs
On peut commencer par aller vers des moteurs de recherche alternatifs. À la fois pour éviter d’être pisté-e mais aussi parce que leurs algorithmes et critères peuvent être un peu différents.
Les lieux de formation
L’école, les lieux de formation continue, etc. peuvent être des vecteurs avec deux objectifs :
— mettre en avant des sites intéressants et peu connus
— favoriser les approches « curieuses » invitant à surfer davantage, ouvrir les formulations de recherche…
La mise en avant
Les sites peuvent le faire, les réseaux sociaux savent parfois cela. Partager, pratiquer le « repost » est souvent bien plus utile que le simple « like » qui reste flatteur mais n’engage pas plus loin…
Il faudrait peut-être développer les échanges de liens, les annuaires ou pages thématiques valorisant des sites différents ou appréciés, à mettre en avant…
Développer sa propre curiosité
Chacune, chacun peut s’autoriser des formes de « récréation-recherche » avec une commande ouverte notamment autour des moteurs de recherche alternatifs ou des annuaires pour aller se faire un « parcours de curiosité », une sorte de cueillette empirique et aléatoire ou structurée mais ouverte, c’est-à-dire où le principe serait d’accepter de sentir des sentiers battus et d’oser aller butiner des fleurs inconnues…
En savoir plus sur Vincent Breton
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Bonjour. Je suis d’accord avec vous. La technologie formate nos écrits en ligne. C’est pourquoi j’essaie de trouver des sites, des blogs comme le vôtre qui proposent des idées, des contenus qui sortent de la ligne habituelle imposée par les moteurs de recherche et autre intelligence artificielle.
merci et je note que votre blog dans cette logique propose des liens intéressants ! 😉