Les images perdues

Publié le Catégorisé comme réflexions
Une plage en Bretagne - photo sur toile de Vincent Breton

En été, nous photographions beaucoup. Encore plus. Une publicité vante la possibilité de stocker toutes nos photos sans limites (que celles d’un abonnement payant à un service). C’est stupide. C’est une usine à images perdues et peut-être à tuer la mémoire. D’ailleurs, que faisons-nous de nos immenses collections d’images numériques qui peut-être deviendront inaccessibles ou s’autodétruiront ? Ce matin, je viens de passer une bonne heure à faire du tri…

Les albums d’antan

Mamies

Ma grand-mère (la petite fille à gauche) possédait quelques albums de photos « papier » plus ou moins correctement légendés et des tas de boites de photos… Je ne sais si quelqu’un s’est attaché à les classer. J’ai quelques boites de mon côté, pas bien classées, encore moins légendées. Il y a très peu de photos de moi et j’ai éliminé nombre de ces clichés qui ne valorisent pas les personnes et finissent par devenir des souvenirs encombrants.

Certaines images nourrissent la curiosité enfantine ou historique. Ma grand-mère était une jolie petite fille unique. L’image a valeur d’archive historique. On cherche une ressemblance. Parfois, il est difficile de reconnaître « qui est qui » ? Sa mère semblait avoir quelque chose de triste. Je l’ai connue vieille dame. Elle me détestait. J’étais odieux avec elle. Ça ce n’est sur aucune photo.

Chez moi, il y a quelques tableaux d’ancêtres et ces photos « posées ». Mais je ne fais pas partie de ces personnes qui affichent les photos de leurs proches, des personnes aimées ou des « chers disparus ».

Les images importantes, je les ai en tête, je n’ai pas besoin d’aller ouvrir la boite à photos. Raviver certains souvenirs alimente plutôt la tristesse. On ne devrait d’ailleurs conserver que les photos des bons souvenirs. Il y a de sombres personnages qui ont fini en morceaux à la poubelle, ça m’évite d’avoir à donner des explications si je tombais sur les photos et je peux penser à d’autres choses…

Au passage, rien n’est plus offensant que de montrer à la personne que l’on aime d’amour la photo des personnes que l’on a aimées ! Évitez l’album des ex !

Le calvaire des photos numériques

Si on m’avait raconté petit que je prendrais des photos avec un téléphone portable, j’aurais ri. D’ailleurs mon smartphone est plus un appareil photo qu’un téléphone…

En observant les touristes, je me suis dit que je n’échappais pas à ce syndrome bizarre de la photographie compulsive. Comment appeler ça ? La photographite ?

Je n’en suis pas à photographier ce que je mange au restaurant… mais au dernier concert, je me suis moi même censuré : tu écoutes les chansons ou tu photographies l’artiste ?

À la promenade, tu vis la rencontre et les émotions apportées par les lieux, les paysages ou tu fabriques un récit à montrer plus tard ?

D’ailleurs, tu photographies tel joli monument en masquant ostensiblement un bâtiment affreux qui gâche le paysage à côté ou tu photographies Tante Albertine sous un angle avantageux avant de lui apposer un filtre sur ses pustules... Photographier, c’est mentir un peu. C’est créer. La photo choisie pour illustrer ce texte est le tirage papier d’une photo prise en Bretagne. Son grain lui confère l’esthétique d’un tableau. On croirait une peinture. Oui, photographier à la promenade ou lors de l’anniversaire, c’est fabriquer du souvenir et le bricoler encore plus sûrement que ne le fera notre cerveau.

Notre cerveau, quand nous admirons un paysage, il ne photographie pas juste une image, mais une ambiance, des sons, des odeurs, la température… Si c’est important, il saura « le stocker » quelque part… et l’on se souviendra mieux vingt après d’un lieu où notre expérience fut intense et riche parce que « vécue » en lien avec le réel.

Nous n’avons pas encore d’appareil qui permettrait de restituer l’odeur des églises… dans certains cas, c’est d’ailleurs préférable ! Et même un film ne restitue pas tout des ambiances, du climat…

Dans l’idéal, j’aime aller voir un lieu une première fois, puis le retrouver une nouvelle pour le photographier ensuite dans un but précis.

Trier ? Nommer ? Classer ?

Il existe aujourd’hui de nombreuses applications qui permettent facilement de regrouper des images en fonction de dates, de lieux, de reconnaissances algorithmiques diverses.

Les méta-données font parler les images… au delà dans certains cas de ce que leurs auteurs voudraient…

C’est d’ailleurs un vrai problème lorsque nous confions ces images à des tiers pas forcément bien intentionnés : ceux des géants du Web que chacune et chacun connaît. Si nombre d’images circulent en licences libres (creative commons), le pillage ou la réappropriation font tout de même problème…

Il n’empêche. Il n’est pas simple de gérer l’abondance et souvent il faut déjà se souvenir pour retrouver…

Qui s’offre vraiment ces séances fastidieuses où l’on fait le tour des photos ?

Lorsque nous étions limités par le tirage papier, nous devions faire un peu d’efforts pour ne pas rater la photo et de toutes façons nous étions quantitativement limités…

De temps à autre, je me coltine l’examen des photos stockées sur le serveur. La principale opération consiste à jeter… Il faudrait avoir le temps d’accompagner certaines images d’explications… Nous le faisons peu ou prou pour les sites et les réseaux sociaux…

Des sorties sans

Je crois utile de veiller à ça. D’autant plus si on est à plusieurs. Très pénible de ne pas pouvoir communiquer parce que l’un ou l’autre est accaparé par le « souvenir visuel à rapporter »…

De fait, marcher sans photographier, sans téléphone… c’est une très bonne façon de mieux se connecter au réel et d’engranger des souvenirs de haute qualité sous forme de sensations.

Par exemple, lorsque vous visitez un lieu avec un ami ou la personne que vous aimez, si vous le faites sans photographier, vous aurez la certitude que ces souvenirs n’appartiendront qu’à vous deux, dans cette expérience intime et merveilleuse qui vous fera un souvenir commun…

Le numérique est périssable

Si le papier des photos peut jaunir et les couleurs s’atténuer, il y a deux choses que nous ne savons pas bien.

D’abord les clouds et les serveurs pourraient un jour nous devenir inaccessibles. Un accident. Vous ne pouvez plus accéder ou payer… L’entreprise fait faillite. C’est la guerre. Le réchauffement climatique interrompt les communications. Un virus mondial détruit les clouds… Rien ne dit que l’Internet est éternel. Si des catastrophes s’accumulent, peut-être un jour, accéder au net deviendra un luxe. 2,6 milliards de personnes n’étaient pas connectées en 2023.

Nous ne savons pas non plus dire quelle peut-être la pérennité d’un fichier numérique... et si rien ne se perd sur Internet (problème de l’effacement numérique), il n’est pas facile de tout retrouver…

Et vous ? Photographe compulsif-ve ou prudent ?

fenêtre sur maison en ruines

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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