Comment trouver sa poésie ?

Publié le Catégorisé comme de la poésie
Château de Cenevières

Je dis volontiers que l’un des rôles du poète est d’aider l’autre à trouver sa poésie. Comment trouver sa poésie ? Le poème en est le signe et la clé. Trouver sa poésie, dépasse le poème. C’est affaire intime. C’est trouver sa singularité poétique. Une façon d’être à soi et pour les autres. Non pas cet enjolivement factice, niais et sirupeux où les poncifs prospèrent. Non pas ce culte désuet et mortifère pour la nostalgie. Plutôt une façon de renouer avec son enfant intérieur et de le relier au réel. Et ce réel ne se laisse pas commander par les fausses urgences, les cris, l’actualité. Ce réel, c’est le présent qui vient à nous dans son entièreté et que nous pouvons emplir pleinement. Ce flux, cette vie. Trouver sa poésie est l’art de se vivre dans le monde, en s’aimant et en aimant.

Les tueurs d’enfance

Des adultes croyant éduquer passent leur temps à tuer chez l’enfant le goût de l’autonomie et de la curiosité. Vivre ensemble suppose des règles. Trop souvent elles sont dictées sans permettre de comprendre.

Enseigner c’est aider à comprendre le sens apparemment caché des choses, soulever les pierres, lever le secret. Qui comprend doit se voir reconnu dans de nouveaux droits. Apprendre c’est pouvoir créer à son tour. Essayer. Oser. Et cela sans risque. Affaire éthique, à l’école on peut expérimenter comme on joue, sans se bruler.

L’humain dispose de la langue. Le luxe pour son cerveau, c’est de savoir l’écrire. Merveilleuse ressource qu’est la langue, l’enfant peut très tôt apprendre à dire, écrire, lire le monde avec les mots. C’est à dire établir une connexion entre les sensations, les émotions, le réel et le sens de la vie. Le dictionnaire est un merveilleux objet poétique. Toi aussi, tu pourras inventer à ton tour. Cette vie chez l’homme se manifeste par le feu de son intelligence. Cette lumière dans les yeux.

Le conformisme est l’ennemi affiché de l’enfance. C’est un chloroforme addictif pour nombre d’adultes. Un refuge. Habitudes tristes, écrans, compétition. « Tu es trop petit pour comprendre » dit l’adulte qui a peur de réfléchir un peu à la façon de s’expliquer les choses.

La société s’est organisée pour régir nos vies dans le moindre détail : heures de lever, de coucher, de repas, de travail, de loisir, de sexe…

Aujourd’hui le point de saturation fait que la jeunesse pressurée comme si les cerveaux étaient pris dans un étau, ne sait plus inhiber ses pulsions. Elle explose. Le jeune devient le perturbateur. On veut le pressurer plus encore au risque de faire exploser ce qui tient les hommes entre eux.

La réussite appartient à celles et ceux qui ont les codes. Le bon élève est celui qui fait croire qu’il est toujours attentif et centré. Il se tient bien et fait son devoir comme attendu. Le tout est de deviner ce qui est attendu.

Le travail est présenté comme une contrainte. Une vie qui ne serait pas sacrifices ne serait pas méritante. La récompense viendra « plus tard », à la retraite, au Paradis…

La créativité, l’initiative, l’autonomie sont rarement encouragées.

La charité condescendante se substitue à la fraternité.

Le dogme ou la doxa remplacent le choix réfléchi. Il faut être d’une chapelle ou d’un parti, appartenir à la grande église de la consommation…

On étiquette celui qui sort un peu de la norme. L’étiquette rassure parfois y compris celle ou celui qui la porte. Mais la plainte devient un chant que l’on écoute en étant prié de s’affliger. La différence serait-elle un handicap ?

Pour celles et ceux qui dérogent, on demande plus de punition verticale comme si l’on avait renoncé à transformer les ennuis en cherchant leurs causes…

Nombre d’adultes que nous croisons font tout pour que l’on ne reconnaisse ni la petite fille, ni le petit garçon en eux. Un ministre ou un politicien jeune qui réussit c’est un ministre aux traits juvéniles qui sait être le plus conformiste, le plus vieux possible. Ce sont de vieux petits garçons tristes.

Chacune, chacun d’entre nous travaille à sa façon à masquer l’enfant : on va chez le coiffeur faire une permanente, on achète un costume.

L’enfant peut être naïf mais il aime se déployer dans le jeu, la curiosité et la rencontre de l’autre.

Rien n’est plus extraordinaire que d’observer cet enfant pleinement concentré qui joue avec des petits personnages, celle ou celui qui joue avec un autre, entrant tout entier dans un rôle, inventant si besoin des didascalies. « Tu serais triste parce que je partirais… »

Comme vous peut-être, longtemps j’ai tout fait pour me conformer le plus possible aux attentes sociales. Sous l’uniforme il fallait que j’invente pour survivre et cette possibilité m’a permis de tenir, comme d’autres ont tenu par divers subterfuges, mais à quel prix ? J’en ai vu tant s’évertuer à tuer la flamme, poser des verrous entre leur enfance et ses idéaux et leur vie réelle.

On s’empêche, on se leurre de faux besoins.

Combien de souffrances ont été engendrées par cette énergie dépensée à tuer l’Idéal et les aspirations de l’enfance ?

Le ressentiment est cette exacerbation du refus de renouer avec son enfance, d’approcher l’autre. La peur commande alors. Pour certains, recuits dans leur rancœur, le rejet de l’autre est comme une vengeance contre l’impossibilité de dépasser un destin qu’elles et ils pensaient verrouillé... Ils n’ont pas su, pas pu, alors il faudra punir les autres au lieu de choisir une voie libératrice…

Tu es un être poétique

Cette possibilité offerte à chacune et chacun peut sembler téméraire.

Petit garçon j’avais découvert qu’un président de la République avait constitué une anthologie de poésie. Elle m’accompagna longtemps. Je trouve que dans la cruauté du monde politique et dans ses choix de gouvernement souvent contestables, c’était comme une merveilleuse porte ouverte sur la possibilité de prendre l’humain en compte et de renouer avec sa propre humanité. Georges Pompidou sut répondre en 1969 à la question de Jean-Marie Royer, journaliste à Radio-Monte-Carlo, sur le suicide de Gabrielle Russier (une professeure jugée pour avoir eu une relation avec un élève mineur à l’époque), en citant un poème de Paul Éluard. J’aime tout autant les silences que la citation dans sa réponse.

Dans la présentation de son anthologie Pompidou dit :

« Qu’est-ce que la poésie ?… Qu’est-ce que l’âme ?… Lorsqu’un poème, ou simplement un vers provoque chez le lecteur une sorte de choc, le tire hors de lui-même, le jetant dans le rêve, ou au contraire le contraint à descendre en lui plus profondément jusqu’à le confronter avec l’être et le destin, à ces signes se reconnaît la réussite poétique. (G. Pompidou)

Être poétique, c’est accepter de laisser parler son enfant intérieur. C’est sans sensiblerie, reconnaître ses sentiments, ses émotions, son droit à l’imagination… C’est accepter cette surprise à soi-même…

Ce n’est pas une affaire de style, de mode, de culture personnelle… c’est se montrer capable d’une attention à sa propre beauté. C’est être le projet de sa propre vie. Un projet où l’on s’accompagne en bienveillance dans son cheminement, sa découverte de la vie, des autres. Il y a là une dimension mystique.

Être poétique, c’est être disponible et attentif à la vie. La saisir dans l’instant.

Un insecte se perd sur le plancher de votre maison… Vous pouvez décider de l’occire, en y ajoutant des cris outragés… ou soudainement vous prenez le temps de l’observer, de le découvrir, de le rencontrer… Il va se passer quelque chose et l’insecte ne sera plus votre ennemi.

Il en va de même pour le brin d’herbe lové entre deux pierres, la tache de café qui dessine la carte d’un pays imaginaire, la voix d’un ami au téléphone dont vous aimez la tessiture et les circonvolutions ou même ce gâteau que vous allez créer pour vos amis, à votre façon…

Être poétique c’est trouver dans le quotidien et toute chose pratique, ce qu’il peut y avoir de beau, d’admirable, d’étonnant… C’est le jeu de mots qui vient en lisant le journal, c’est prendre le temps de regarder la couleur de l’eau de la rivière, apprendre la patience dans la salle d’attente du médecin.

C’est s’accorder la possibilité de la bonté dans l’accueil de la vie et des objets du monde… C’est faire de la tristesse un chant ou une écharpe pour oser se consoler puis sourire à la bonne surprise de la rencontre du vivant…

Accepte la part subversive en toi

On prête à la poésie des fonctions clairement identifiées. La vision est un rien utilitariste : exprimer, dénoncer/célébrer, révéler, inventer, guider.

Comme l’enfant pose des questions qui parfois dérangent, « être poétique » c’est accepter de se laisser déranger.

Ce que je croyais laid, est peut-être plein de vie et de beauté, ce qui me faisait peur mérite d’être apprivoisé, ce qui me parait étrange ou étranger m’enrichira si je m’ouvre à la découverte…

Je me souviens de la tête que des amis faisaient, désarçonnés par certaines musiques que je leur faisais écouter. Le théâtre de Bertolt Brecht a pu en choquer plus d’un. Nombre de poètes furent vilipendés quand ils vinrent secouer la métrique.

La difficulté est qu’il ne suffit pas de provoquer pour être subversif et que la question n’est pas d’être subversif pour l’être, mais de se permettre d’imaginer d’autres possibles. Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu t’obliges à ? Ou mieux encore, pourquoi tu t’interdis de ?

Il y a des Lois, l’éthique est capitale. Être subversif pour moi tient par exemple dans la capacité à dépasser la violence sociale, institutionnalisée... Il faut parfois se secouer un peu dans son habitus… Il s’agit d’oser aller à sa propre découverte. Non pas dans une introspection nombriliste mais dans la capacité à s’aimer finalement au delà des schémas psychologiques, des représentations que nous nous faisons de nous-mêmes.

Je rencontre l’autre pour découvrir une part de moi même que j’ignorais. J’aime apprendre de la différence pour dessiner ma singularité.

Accepter d’être heureux

La page d’accueil du site revendique : « Vivons heureux en poésie ! ».
Ça ne veut pas dire qu’il faut ignorer le malheur et les lourdes inquiétudes qui pèsent. Mais c’est refuser leur dictat.

Le bonheur je le fabrique, je le tisse, parfois avec des fils de tristesse, des souvenirs… mêlés aussi de gaité, c’est à dire de l’insouciance, de l’humour – qui n’est pas la disqualification d’autrui mais secoue l’ordre établi- … s’il le faut je m’émancipe des relations toxiques, je ne reste pas en place… accepter d’être heureux c’est implicitement ne pas se laisser faire …

Je parle souvent du temps où j’étais petit. Les contes et les poésies de Prévert m’enseignèrent à dépasser nombre de préjugés, à dépasser ce que je ressentais d’insupportable pour le sublimer et inventer une autre relation au monde et aux autres. Alors, il faut s’atteler à être ce que l’on attend des autres…

Le passant ne me dit pas bonjour à la promenade ? Il aura le mien. C’est subversif, c’est militant et la fois prochaine, peut-être osera-t-il répondre. Sa réponse sera un écho à mon espoir et le signe que rien n’est perdu.

Accepter d’être heureux, c’est accepter d’être vivant et de prendre sa place dans le grand concert de la vie, dans le paysage.

Bien sûr, en écrivant ce texte, je mesure que ce n’est qu’une ébauche et qu’il s’adresse autant à la lectrice, au lecteur qu’à moi-même…

Entree de la bastide de Villefranche de Rouergue

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

S’abonner
Notification pour

0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires