Une nouvelle crue
Chaque semaine d’été retrouvez une nouvelle courte et crue qui se lit en moins de 7 minutes.
Avec « Un petit ange » vous découvrirez que ce délicieux enfant adulé de tous, n’est peut-être pas l’ange imaginé…
Nouvelle crue : Un petit ange
À cinq ans Jean avait le visage d’un ange. Sa mère l’appelait d’ailleurs « Mon ange ». Il avait la grâce touchante de l’innocence et de la pureté. Son visage fin, à l’ovale régulier était marqué par deux grands yeux bleus surmontés de longs cils recourbés qui en accentuaient la candeur. Ses lèvres d’un rose transparent donnaient de la lumière à sa blondeur légèrement vénitienne.
Toujours très doux, sans afféterie, il était l’enfant calme et apaisant jouant paisiblement, murmurant à peine. Quand on l’appelait, il répondait volontiers de sa voix légèrement flûtée esquissant un sourire. On ne l’aurait jamais grondé. Il n’y en avait pas besoin. Jean était sage, si merveilleusement sage. Jamais un caprice, jamais de bêtise et encore moins de mensonge ou de dispute avec les autres enfants. Lorsqu’on le félicitait, il savait papillonner des yeux avec une telle délicatesse, que le plus sévère des éducateurs aurait fondu.
À l’école, à la maison, dans la famille, chez les amis ou en voyage, partout où ils se rendaient Jean illuminait chacun de sa bonté. Et il était si propre, si bien mis, jamais un trou à ses pantalons ou de tache sur sa veste.
On l’aurait dit échappé d’un livre de contes ou appartenant à ces bons enfants décrits par la Comtesse de Ségur.
«— Il fera des ravages plus tard ! » disaient les dames admiratives.
Les petites filles les mieux élevées étaient invitées à prendre exemple sur la sagesse de Jean. Sa maman, toute à son admiration, concédait pourtant n’y être pour pas grand-chose.
« — C’est sa nature ! Il a toujours été ainsi et si paisible ! Je n’ai pas à me plaindre, c’est un cadeau du ciel, c’est mon ange ! »
La charmante femme un rien naïve était une femme de bon sens. Elle avait un brave mari. Il était leur premier enfant. Il n’était pas certain qu’ils prendraient le risque de rompre ce bel équilibre en donnant jamais naissance à un autre bébé. D’ailleurs, quand on avait un peu de bien à transmettre sans que ce soit une fortune, la raison commandait de ne point dilapider l’héritage en de multiples parts. Un enfant c’était bel et bien. Celui-là trouverait aisément à se marier. Mais en attendant, la famille toute entière goûtait sa joie. On vivait pleinement l’instant présent. La période sans être faste était prospère, chacun était à son ouvrage, la famille allait bien, les grands parents encore solides regardaient tout cela avec bonhommie et contentement. Oui, Jean était une bénédiction, un ange et c’était un bonheur à ne pas bouder que de le voir vivre à leurs côtés.
Jean se savait aimé. Il avait à peu près tout ce qu’il désirait, il aimait tout. Il avait des jeux pour jouer, des amis qui s’acclimataient volontiers à son tempérament débonnaire et altruiste. Un jeudi après-midi avec Jean, c’était la garantie de beaux moments de jeux sans heurts pendant lesquels les mères pouvaient deviser aimablement.
On buvait le thé, on évoquait les progrès en cours, l’arrivée progressive de l’électricité, les nouveaux tissus proposés en ville, le théâtre qui venait d’être rénové et proposait des comédies légères…
Ce n’est que peu à peu et de façon progressive, presque invisible, que les conversations se firent moins légères et moins optimistes. Surtout chez les plus jeunes dames qui relevaient de couche.
La plupart d’entre elles donnaient encore naissance à la maison mais cependant, plutôt que la vieille sage femme à moitié rebouteuse, si on était de bonne société, on faisait venir le médecin. Celui-ci, une certain Dr Fernand était un jeune monsieur bien mis de sa personne, aux longues mains fines et qui était réputé pour sa délicatesse. Cela changeait de la brutalité du précédent, un gros alcoolique, qui de toute façon n’aimait guère se déplacer pour les naissances et envoyait la vieille à sa place.
Les enfants, même bébés, avaient déjà leur chambre. Entre les soins qu’on leur prodiguait, le lait tiré qu’on leur donnait, ils dormaient paisiblement dans leur berceau. Bien au chaud. Jean adorait se glisser dans les chambres des bébés. Il commença d’abord par les contempler longuement.
Sa mère l’appelait. Il fallait rentrer. De jours en jours, de semaines en semaines, on se rendait visite. Les enfants jouaient tandis que les grandes personnes prenaient le thé.
Au premier bébé mort, il y eut un léger voile sur les discussions qui se firent moins futiles. Malgré les progrès de la science, il restait relativement fréquent que des enfants meurent les premiers mois.
La maman de Jean avait été émue d’apprendre la disparition du bébé de l’une de ses amies qu’ils étaient allés visiter il y a peu, juste la veille de l’accident, quelle triste coïncidence.
On continua cependant d’aller les uns chez les autres. Jean faisait toujours l’admiration des adultes. Évoquer sa beauté, sa douceur et sa bonté était comme une consolation dans les échanges. On susurrait à sa mère qu’elle avait bien de la chance d’avoir un garçon si beau et en bonne santé.
Jean souriait alors et tous étaient purement et simplement charmés.
Il y eut ces petites vacances de pâques. L’empereur avait accordé cinq jours supplémentaires. La saison était agréable et chacun goûtait avec plaisir de pouvoir profiter des premiers rayons du soleil, d’aller parfois déjeuner à la campagne.
Mais elles furent ternies car dans l’entourage des amies de la maman de Jean, la plupart des jeunes mères qui avaient un enfant de moins de un an le perdirent tour à tour, comme une petite épidémie.
« — C’est terrible, nous étions encore hier chez cette bonne Anna, disait la mère de Jean, le bébé semblait en si bonne santé ! »
On avait beau tenter de garder contenance et retenue, les après-midis se poursuivaient chez l’une ou l’autre, de maison en maison, de château en château ou parfois même dans quelque pavillon forestier, les calèches à peine rangées sous les arbres, se précipitait-on pour évoquer les morts subites qui se succédaient.
On en vint à soupçonner le Dr Fernand. Après tout, on ne savait rien de ce jeune médecin venu de Paris dans leur petite ville. C’était un célibataire de surcroît, ce qui ne plaidait guère en sa faveur. Force était de constater que tous ces bébés morts si peu de semaines après leur naissance, c’était lui qui les avait accouchés. L’affaire vint aux oreilles des gendarmes. On envoya le capitaine chez le médecin. Celui-ci fut quelque peu inquiété et sommé de montrer ses diplômes. Ce qu’il fit. Il y eut quelques rumeurs. Mais un nouveau bébé venait de mourir alors qu’il s’entretenait justement avec le capitaine des gendarmes.
Dans les salons où elles se retrouvaient, ces dames commençaient à se fixer étrangement. Laquelle verrait bientôt son bébé victime de l’hécatombe ? On allait contempler l’enfant dans sa chambre. Le bébé dormait paisible. On sortait le chat de la pièce. Les journées se faisaient déjà un peu plus chaudes. Les dames avaient des suées, les plus âgées des vapeurs. Les sels étaient dorénavant présents sur les tables à côté des tasses de thé.
Les jours passaient. On n’osait plus compter les bébés morts.
« — C’est Jean ! »
Angélique, la jeune aînée de douze ans de l’une des dames s’était lancée ainsi au beau milieu de la conversation. Personne ne comprenait de quoi elle parlait. Angélique était une enfant un peu grande pour son âge, qui sans être laide était atteinte d’une certaine gaucherie et se montrait légèrement demeurée. Elle ne savait toujours pas lire et préférait en général jouer avec les poules au fond de la basse-cour.
Mais elle tenait bon dans ses affirmations.
« — C’est Jean ! Je l’ai vu ! Il a pris un coussin et il a étouffé le bébé de Madame Diane et aussi celui d’Élisabeth ! Je l’ai vu faire ! C’est lui. Il appuie très fort avec le coussin, et puis il regarde si le bébé bouge encore et si le bébé bouge, il remet le coussin. »
Tout le monde frémit dans l’assistance. Mais ces dames étaient toutes scandalisées. La mère de Jean en brisa la tasse de thé qu’elle tenait. Une autre fit un malaise. Mais de toutes, c’était la mère d’Angélique qui s’était montrée la plus furieuse. Elle avait véritablement honte de son enfant habituellement et cette sortie était de trop. Elle se leva pour aller gifler la jeune fille. Une bonne sut heureusement la retenir.
On fit sortir Angélique de la pièce au moment même où Jean entrait souriant, ignorant tout des échanges et du trouble suscité autour de son prénom. Il arborait cette émouvante figure d’enfant si charmant et touchant, que personne ne songea un instant à le questionner seulement.
Il fut pris dans les bras de sa mère puis sans comprendre dans ceux émus d’autres mamans.
Le jour même, il fut convenu que la petite Angélique serait internée dans une institution religieuse qui était située dans la ville voisine. Un abbé, ami de l’hôtesse fut mobilisé sur le champ, quitte à manquer les vêpres et à peine le temps de faire son bagage, l’enfant fut conduite vers sa nouvelle demeure où on l’oublierait vite.
Tout cela avait créé une certaine agitation et l’on décida pour se remettre de ces émotions, de faire un chocolat chaud pour tout le monde assorti de quelques éclairs et profiteroles que la cuisinière avait préparés en guise de consolation. Jean fit bien rire l’assemblée car il s’était mis, on ne savait comment, un peu de chocolat sur le bout de son nez.
« — On dirait un petit lapin mon petit Jean, dit l’hôtesse de la maison, vient vite que je te nettoie le bout du nez pour que tu redeviennes un petit ange ! »
L’enfant ne se fit pas prier. Mais la journée s’achevait, il fallut rentrer. On se promit de se revoir dès le lendemain chez une autre de ces dames.
C’était un jeudi. Une maman manquait. On apprit que le bébé de sa maison visitée la veille était décédé à son tour. Triste coïncidence et malchance !
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