Prépuce – une nouvelle

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Prépuce est à la fois une nouvelle crue évoquant un souvenir d’adolescence, la question de l’homophobie, du harcèlement et à sa façon évoque cet arrière bruit antisémite qui courrait à l’époque en province et n’a pas cessé…

Prépuce

C’est le lendemain de la rentrée que les troisièmes ont chopé Prépuce dans le foyer.

C’est moi qui l’avait emmené pour lui faire visiter en lui disant de se méfier des grands. Comme ils savent que mon père est au conseil municipal, ils me laissent tranquille. Mais lui, il était nouveau. Il arrivait de Paris ou de je ne sais où. Aurélien « je sais plus quoi » il avait dit à la prof de français. Comme il était un peu plus grand que nous, la prof lui avait demandé combien de fois il avait redoublé. En fait, jamais. Il était même un peu plus jeune que moi. Plus grand, plus maigre, avec de la moustache. Mais blond, ça se voyait pas trop. Il avait les cheveux longs. Enfin, dans le cou. Moi, je lui avais dit qu’il aurait mieux fait de se les couper. Ici, c’est la campagne et les cheveux longs, les gens pensent que ça fait tapette. C’est comme les pantalons pattes d’eph. Ici c’est pas bien vu. Tu mets un jean simple ou un tergal avec le pli, comme moi. Faut rester discret dans la vie si on veut pas d’emmerdements. Mais Aurélien il avait dit qu’il s’en foutait, qu’il avait rien à se reprocher.

Avec ses parents, ils venaient de s’installer dans le village de ma cousine. C’est elle qui lui avait montré pour le bus et puis comme elle savait qu’on serait dans la même classe, elle m’a demandé de le guider. Il était sympa, ça allait, avec son accent pointu. Il savait même pas ce que c’est « une biasse » quand je lui ai dit de pas la laisser sous le préau. Y a des voleurs partout.

Je lui ai fait le tour des salles. Je lui ai montré comment aller au gymnase en évitant le grand tour et comment se débrouiller à la cantine pour pas avoir les quignons durs. Comment avoir des parts correctes aussi. Il causait pas beaucoup, mais ça allait.

Après manger, le lendemain, je lui ai dit que j’allais lui montrer le foyer des internes. Les demi-pensionnaires ont le droit d’y aller à midi pour jouer aux cartes ou au pin-pong s’il fait trop froid ou s’il pleut. Les troisièmes ont la priorité. Comme ça leur arrive d’être un peu cons, faut pas trop se la ramener quand même.

On est rentrés dans la salle. Y avait Dudi et Ravoisier. Les plus bêtes avec leur petit groupe. Ça sentait la fumée, ils avaient dû allumer une clope. Ils ricanaient dans leur coin. Aurélien regardait les jeux et l’espèce de vieille banquette pas propre qui sert de canapé. Je lui disais de quand même pas traîner mais ça n’a pas loupé. Ravoisier nous a vu direct et il est venu.

— T’es qui toi ? On t’a jamais vu ici !

Aurélien s’est pas démonté, il a répondu. Les autres lui ont demandé en quelle classe il était, s’il avait redoublé. Je restais un peu en arrière, je sentais l’embrouille venir.

— T’es interne ou externe ?

— Externe

— Ah oui, parce que si t’étais interne, on te serait tous passés dessus la nuit tu vois. Avec tes cheveux longs tu fais bien ta tapette.

— Sûr que c’est une tapette efféminée de Paris, rajouta en rigolant Dudi qui semblait tout excité, il a une bouche de suceuse !

Aurélien ne répondait rien, il me lança un regard en coin pour sortir. Mais c’était trop tard. Les deux commençait à le serrer et trois autres grands gars s’approchaient derrière.

— Nous on a pas de femme, mais on a besoin de se vider les couilles chaque soir, pas vrai les gars ?

Ça rigolait de plus en plus fort. Ravoisier, il se touchait en s’approchant de très près d’Aurélien . Dudi commençait à lui passer la main dans les cheveux. Les autres se marraient. Je me serais bien tiré, mais je pouvais pas le laisser. De toutes façons personne ne s’intéressait à moi.

— Eh, si ça se trouve il a une chatte, avec ses cheveux longs, c’est une trav !

Je sais plus qui a dit ça, mais ça les a fait rire. Ils étaient excités. Alors, Ravoisier dit qu’ils allaient vérifier ça tout de suite. Il a plaqué Aurélien contre le mur et lui a enlevé son ceinturon. Il avait presque sa bouche contre celle d’Aurélien.

— C’est qu’elle a de jolis yeux bleus la tapette de Paris, elle nous chauffe en plus !

Dudi lui a descendu son froc d’un coup. Les autres riaient comme des malades.

— On va voir si elle a une jolie chatte poilue la petite femme de Paris !

Et Ravoisier lui abaissa son caleçon. D’un coup. Aurélien se débattait. Il est tombé sur le canapé, on voyait ses fesses. Dudi le retourna comme une crêpe pour voir sa bite. Je trouvais qu’il y allait fort. À un moment, j’ai vu qu’ils regardaient tous. Ils étaient surpris parce qu’Aurélien, enfin, il était très poilu et c’était vraiment pas une chatte mais un sacré morceau. Ça les a d’abord calmés. Je pense qu’ils ne s’attendaient pas à ça. Ravoisier qui est toujours à montrer la sienne, a vu qu’il y avait de la concurrence.

Mais ça n’a pas duré.

— Il est coupé ! C’est un juif !

C’est l’un des trois autres qui avait vu ça. Et c’était vrai qu’il était coupé.

Du coup, Ravoisier s’est repris et s’est énervé pour faire son fort devant les autres, il lui a grimpé dessus en l’enfonçant de tout son poids dans le canapé. Il donnait des coups de reins. Aurélien avait mal.

— Viole-le ! Viole-le !

— Alors comme ça, t’es venu te réfugier à la campagne le petit juif ? Tu te crois encore au temps des nazis ? Tu as peur qu’ils viennent te chercher ? Mon grand-père il a failli être fusillé à cause de vous. Pour vous cacher. Et tu crois qu’il a eu des remerciements ? Tu parles. Les autres, ils sont repartis dans leur grosse auto à la fin de la guerre et mon grand-père s’était ruiné pour eux, il avait failli perdre la vie. Et toi tu reviens chez nous la tapette juive, le youpin de Paris, tu crois que c’est chez toi ici ?

Il était super en colère Ravoisier. Ça faisait presque peur aux autres. Aurélien recevait ses coups de reins. On entendait le choc sur la banquette. L’autre le serrait fort avec ses cuisses. Il avait le visage tout rouge.

C’est à ce moment-là que le pion passa la tête à la porte. Mais entre la lumière du dehors et l’obscurité du dedans, il ne voyait que des ombres.

— Tout va bien les garçons ?

— Oui, oui, m’sieur, on fait connaissance répondit Dudi en passant son slip discrètement à Aurélien qui l’enfila.

— Je suis pas juif, j’avais un phimosis. On me l’a enlevé. J’ai été opéré. Pour ça que j’ai plus de prépuce.

— Putain un phimosis ! Reprit en articulant bien Ravoisier à la fois admiratif et effrayé. Et t’es encore contagieux ? Tu l’as eu comment ? En baisant une jeune ou une vieille ?

— C’est pas le SIDA au moins ? Lança un autre

— Non, non ! reprit Ravoisier qui voulait faire son savant, le SIDA c’est la maladie des pédés, mais lui c’est un truc que tu peux attraper en baisant, surtout des putes. Mon oncle l’a eu aussi. Il est devenu à moitié dingue. Eh, Prépuce, tu as baisé une pute ?

Aurélien eut un moment d’hésitation. Il renonça à expliquer à Ravoisier. Il avait attrapé son pantalon. L’autre soudain s’était mis debout, en retrait et le regardait avec un mélange de respect et de dégout.

— C’est les Parisiens ça, vous baisez comme vous voulez, nous ici, les filles sont pas faciles ou pas propres… Si tu veux, tu pourras venir te branler avec nous un midi.

Aurélien enfila son pantalon. Par chance, c’était le premier coup de la sonnerie.

Il fallait que chacun rejoigne son bâtiment et sa salle. Aurélien m’a juste expliqué que cet idiot de Ravoisier avait confondu phimosis et syphilis. Et que bon c’était juste un truc de prépuce serré. Ou je sais pas quoi. Que ça pouvait faire mal si on ne faisait rien.

Je me suis demandé si c’était pas pour ça que j’avais un peu mal quand je bande. Mais j’osais pas demander à Prépuce.

Je m’étais dit qu’on avait eu chaud avec cette histoire. Ravoisier, il s’énerve facilement et derrière ses gars sont si bêtes qu’ils auraient tous pu se jeter sur lui.

Sinon, il était sympa Prépuce. Mais je sais pas comment c’est revenu. En une semaine à peine tout le bahut l’appelait comme ça. Même les filles. Au début, il ne disait rien. Après, je sentais qu’il en avait un peu marre entre les ricanements et les chuchotements sur son passage. On avait l’impression d’entendre tout le temps « Prépuce »… Et le « puuuuuuuuuuuce » qui sifflait partout . C’est vrai qu’il lui en fallait pour garder son calme. Même les sixièmes l’avaient repéré : « Prépuce » « Préplus » « Prépuce dans l’autobus »… Ils chantaient ça.

Il a le gland coupé disaient des filles de notre classe. Certaines assuraient qu’il ne pourrait jamais avoir d’enfant, qu’il avait attrapé une maladie très grave parce qu’il fréquentait des putes à Paris et que c’était la raison pour laquelle ses parents étaient venus s’installer discrètement à la campagne.

Même dans les chiottes, quelqu’un avait dessiné sa tête et sa queue en écrivant un énorme « Prépuce ». Lui, ne parlait presque plus à personne et se concentrait sur son boulot avec une tête hyper sérieuse. Il s’était même fait couper les cheveux courts. Il la jouait discret quoi. Jusqu’au jour où le prof de maths l’a appelé au tableau.

— Prépuce ! Viens résoudre l’équation !

La classe a bien rigolé. Mais le lendemain, Prépuce n’est pas revenu. On ne l’a plus jamais revu.

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Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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