Les enfants

Publié le Catégorisé comme Les trois pommes - conte
trois pommes

Voici le troisième épisode du Conte « Les trois pommes ». Dans la Bretagne profonde, il y a plusieurs siècles en arrière, Aurélien, le jeune colporteur, vivait avec son grand-père qui l’avait élevé seul. Il lui avait tout enseigné de son métier et prendre soin de la jument. À la mort de celui-ci, Aurélien entreprit sa tournée, mais il se perdit dans la brume où il fit la rencontre d’un petit personnage étrange auquel il dû donner une pomme pour retrouver son chemin.

Les 3 pommes – épisode 3 : les enfants

Aurélien - image produite avec l'intelligence artificielle

Ils reprirent leur route. Le chemin était droit. La brume restait présente mais un peu en retrait comme pour le laisser marcher avec sa bête.

Combien de temps cheminèrent-ils ? Difficile de se situer dans l’espace comme dans le temps. Tout était laiteux tout autour. Aucune cloche, aucune maison en vue, pas un morceau de ciel. Aurélien imagina qu’ils étaient peut-être en fin de matinée ou au début de l’après-midi. Comment savoir ?

C’est alors qu’il entraperçut sur sa droite, un chemin plus étroit qui descendait doucement. Il y avait une grosse pierre qui marquait le croisement. Il reconnut sa forme ronde et se souvint que le chemin menait à une petite ferme habitée par une veuve courageuse et ses deux jeunes enfants. Ils n’achetaient jamais grand-chose, car ils n’étaient pas riches, mais il aimait bien bavarder avec eux. La dame était douce, son visage était presque transparent. Elle semblait toujours fatiguée ce qui était normal : depuis la mort de son mari, elle s’occupait seule de la ferme, tenait la maison et instruisait ses enfants. Peut-être auraient-ils grandi depuis la dernière fois ? Car cela faisait un moment… Il y avait encore près de trois quarts d’heure de route pour les rejoindre. Un ruisseau longeait la maison. La brume faisait ici un effet de couvercle, on aurait dit qu’il y avait un nuage très bas juste au-dessus de sa tête. Il remonta sur la jument. Il s’en amusa presque : il avait la tête dans le nuage et son corps était en dessous avec la jument. Il dut se pencher sur l’encolure de la bête pour voir où ils allaient.

En arrivant devant la petite ferme, ce qui l’étonna c’était le silence. Fréquemment on entendait la basse-cour, un petit chien ou même les enfants jouaient-ils devant la porte s’ils avaient fini leur ouvrage. L’ambiance était un peu étrange. Il toqua à la porte. Il entendit qu’on furetait derrière et entraperçut deux yeux derrière la fenêtre. Le jeune garçon lui ouvrit. Il avait grandi comme il s’y attendait mais se montrait surtout amaigri. Aurélien s’enquit de sa mère. Il supposait qu’elle devait être à l’étable ou peut-être au champ. C’est alors qu’il entendit la petite fille qui était restée sur le côté, éclater en longs sanglots. Aurélien était intelligent, il comprit que quelque chose de grave était arrivé. Le garçon expliqua que leur mère était à présent allongée dans la clairière. Elle avait été malade. Loin du monde, sans cheval, sans personne, les enfants avaient enterré eux-mêmes leur propre mère. Ils s’étaient débrouillés comme ils avaient pu pour s’alimenter avec les fromages de lait de brebis, les volailles. Les légumes étaient difficiles à faire pousser. La mauvaise saison commençait à se faire sentir et la faim les tenaillait.

N’entendant que son cœur, Aurélien leur proposa son pain et les pommes. Les enfants refusèrent la dernière. « — Garde là pour toi ! »

Il les regarda manger avec avidité les grandes tranches de pain pourtant déjà un peu dur qu’il avait emporté avec lui. Ils coupèrent leur pomme en deux pour la partager. C’était peu de choses. Ils se sentaient pourtant déjà mieux et la petite souriait de contentement.

— Vous n’allez pas rester seuls ici tous les deux ! Comment allez-vous faire si vous n’avez rien à manger ?

Le garçon acquiesça. Avant de mourir, sa mère lui avait fait promettre d’aller se réfugier chez leur oncle, son frère qui vivait dans un petit bourg avec sa femme et ses enfants. Cela avait été prévu en cas de malheur. L’oncle était le parrain du garçon, il avait confiance en lui, c’était un brave homme. Le garçon dit qu’il était résolu à s’y rendre et reviendrait dans la ferme de ses parents quand ils seraient grands avec sa sœur. L’oncle habitait hélas un village loin de douze kilomètres. Le garçon savait y aller mais la distance était trop grande pour la petite à pied.

— Qu’à cela ne tienne. Je ne connais pas le village de ton oncle, il n’est pas sur ma route habituelle, mais je vous emmène. Il ne faudra cependant pas trop tarder, car je ne sais quelle heure il peut être et il faudrait nous y rendre avant la nuit.

— Et le petit chien ?

— Va pour le petit chien ! Répondit le jeune homme en riant. La fillette alla chercher un jeune petit chien qui était resté caché sous l’armoire.

Les enfants préparèrent leur baluchon, il n’y avait pas grand-chose. On donna à boire à la jument. On ferma la porte à double tour. Ils cachèrent la lourde clé sous une pierre. Puis Aurélien hissa les enfants et le petit chien apeuré sur la cavale toute contente de leur présence.

— J’espère que la brume se sera levée, dit Aurélien un peu inquiet.

Le garçon connaissait la route par des repères très précis. Là, telle clôture, ailleurs, un muret les guidait, puis une route pavée, une barrière. Aurélien fut étonné de la justesse avec laquelle il les conduisait… Ils cheminèrent ainsi en ce bel équipage avec la brume qui continuait de les accompagner mais restait supportable pour s’orienter.

Ils furent accueillis à bras ouverts par l’oncle. C’était un homme si grand qu’il passait à peine sous la porte de sa propre maison. L’homme commençant à s’inquiéter de n’avoir pas de nouvelles de sa sœur et de ses neveux, avait prévu de leur rendre visite bientôt. Il savait sa sœur malade. Il envoya la petite rejoindre ses cousins qui riaient en jouant devant le grand feu.

— Ils seront comme mes propres enfants, nous veilleront sur eux.

Une soupe chaude fut servie à toute la marmaille. Il faisait bon dans cette maison. On proposa du foin pour la jument et surtout, Aurélien fut invité à passer la nuit en remerciement de ses bonnes actions. Il avait sauvé les enfants. Ce n’était pas dans la nature de ce dernier de s’imposer. Il était aussi modeste qu’intimidé. Surtout, il voulait reprendre la route vers son circuit habituel, car il avait ses clients et ses habitudes. Il se fit expliquer le trajet et entreprit de se remettre en chemin malgré l’insistance de l’Oncle.

On lui avait servi un lait chaud. Il était bien sur sa monture. Un croisement de chemins à l’orée d’une forêt, lui fit reconnaître le circuit qu’il empruntait habituellement. Il savait qu’à deux ou trois kilomètres il retrouverait un hameau de grosses fermes. Il essaierait d’y être assez tôt, de ne pas traîner pour retrouver la fameuse maison où il savait qu’il pourrait se loger pour la nuit et se nourrir contre quelques pièces. Il passerait une nuit au chaud et la jument aurait du bon foin à l’écurie.

Tout à son contentement, il ne perçut pas que le jour déclinait déjà ni surtout le retour de la brume.

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

S’abonner
Notification pour

0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires