Le poulet du dimanche

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Une nouvelle crue

Chaque semaine d’été retrouvez une nouvelle courte et crue qui se lit en moins de 7 minutes.

Avec « Le Poulet du dimanche » vous découvrirez comment une sympathique famille perpétue cette belle tradition.


Nouvelle crue : Le poulet du dimanche

On dira ce qu’on voudra, le poulet du dimanche reste une tradition dans bien des familles. On en trouve des pas trop chers au rayon surgelé de la supérette. Mais il faut pouvoir se l’offrir. Sans compter les frites.

Alvira ne pensait pas à ça quand Jo l’envoya voir le bébé. C’est vrai que ça faisait bien deux jours qu’on l’avait pas entendu gueuler ce bébé. Mais entre la console et les matchs de foot de Jo, elle n’avait pas trop eu le temps d’y penser.

Le chat se jeta dans le berceau en feulant. Elle le repoussa d’une claque. Quand même ! Ce chat, il a l’habitude de se croire tout permis, il grimpe partout. Il déguerpit non sans lui filer un coup de patte. Elle râla. C’était bizarre, le bébé était tout bleu, enfin tout gris et tout dur. Normal qu’on ne l’entende plus. Elle ne fut pas plus surprise que ça. C’était la troisième fois qu’un bébé mourait dans son berceau. Il ne lui vint pas à l’idée que c’était peut-être à cause du manque de nourriture. Elle incrimina la chaleur. Avec l’été, l’absence de volet et de rideaux, c’est vrai que le soleil tapait fort dans la chambre.

Jo l’appelait de la pièce, ou plutôt, il gueulait depuis le canapé, car il manquait de bière et sûrement il allait y avoir un but. Elle lui répondit d’attendre cinq minutes. Sans réfléchir et aussi à cause de l’odeur qui piquait le nez, elle prit le bébé tout raide par les pieds. C’était drôle, il tenait droit d’un bloc. Comme ses poupées quand elle était petite. Sauf qu’on ne pouvait pas lui bouger les bras. Mais quand on lui donnait des petits coups d’ongle, ça faisait le même bruit qu’avec son ancienne poupée. Elle la regrettait bien celle-là. C’était une grosse poupée qui chantait « Au clair de la lune » quand on appuyait un bouton sur son ventre. Chose qu’aucun de ses bébés n’avait jamais su faire. Elle passa avec dans l’arrière-cuisine, ouvrit le grand coffre congélateur et trouva une place au nourrisson durci entre les glaces et les haricots. Il fallait serrer. Le congélateur était plein à craquer, elle dut s’y prendre à plusieurs reprises pour le refermer correctement. On entendit un craquement et un bruit sourd puis le moteur se mit en route automatiquement.

Jo s’impatientait et l’engueula vertement quand elle lui apporta sa bière. Elle lui expliqua que le bébé était mort et qu’elle l’avait mis au congélo avec les deux autres. Jo lui répliqua que s’il était mort, il n’y avait pas d’urgence alors que lui commençait à mourir de soif justement. Il était déçu. Le but avait été raté de peu à cause d’un dribble qui avait mal tourné. C’est vrai que l’équipe se sentait trop sûre d’elle et du coup, un petit manque d’attention et de concentration peut vous faire perdre une partie. Alvira écouta d’un œil morne les explications de son amoureux. Elle ne comprenait rien au sport. Elle préférait sa console et ses copines.

Elle n’aimait pas trop que Jo s’en approche de trop près d’ailleurs, surtout de la Léa. Elle sentait grave la sueur celle-là et Alvira avait bien reconnu son odeur sur Jo. C’est pas qu’elle était jalouse, mais comme elle disait, « l’hygiène a son importance et je veux pas attraper ce que j’ai pas. » Il était tout de même difficile de savoir laquelle de ses copines avait refilé sa Chlamydia à Jo qui lui avait repassé illico. Enfin, comme le médecin lui avait dit, c’était déjà moins embêtant que la syphilis de l’année passée. Tout en philosophant elle se triturait ardemment le nombril. Jo la reprit. Il trouvait ça dégueulasse. En riant, elle lui enfonça ses doigts dans le nez.

On entendit sonner à la porte. En effet, c’était dimanche jour habituel de visite de sa mère et de ses petits. Car la mère d’Alvira était encore jeune et avait eu en plus d’elle, quatre ou cinq petits, tous vivants qui devaient avoir entre treize ans pour l’aîné et juste six mois le dernier, chacun d’un père différent. Elle avait pris l’habitude de venir déjeuner chez sa grande fille le dimanche. Elle espérait toujours que Jo s’occuperait d’elle comme il faisait si bien avec les copines d’Alvira, mais comme il lui avait dit : « j’ai des principes, ça se fait pas avec sa belle mère, et si je vous fais un petit il sera le demi-frère de ma femme… ». Pour elle, tant que ça restait en famille, ça ne posait pas de souci. Mais elle trouvait que son aîné de treize ans lui donnait trop peu de plaisirs. Jo pensait que le gamin était le père de son petit frère à cause des mêmes taches de rousseur. Comme disait Alvira, « c’est compliqué les histoires de famille ». Les gamins envahirent le salon. Heureusement le match était terminé. Ils étaient venus à moitié habillés. L’un avec un polo sale, l’autre encore en pantalon de pyjama, tous, les cheveux pas peignés. Mais pour la mère d’Alvira, le dimanche « c’est le jour où on doit se reposer ». La petite sœur d’Alvira réclamait des glaces en sautillant sur place. Ça serait bien en attendant la pizza qu’ils allaient commander en espérant que l’un ou l’autre aurait de la monnaie. Alvira laissa faire la cadette qui savait qu’il y avait des glaces dans le congélateur et partit se servir…

La petite Shakira rapporta une boite d’eskimos pour ses frères, mais aussi le bébé déjà couvert de givre. Elle demanda ce que c’était. Alvira engueula sa sœur en répliquant que c’était du poulet et qu’il fallait pas sortir la viande du congélo, « pour pas rompre la chaîne du froid ». Elle avait entendu ça par un coach sur son application préférée.

L’entendant parler de poulet, la mère eut l’eau à la bouche et dit que ça changerait de la pizza et puisqu’il était déjà sorti du congélateur, autant le faire pour midi. Alvira commenta qu’elle n’était pas fan et qu’elle n’avait rien pour faire des frites. Son frère enthousiaste, se proposa d’aller en chercher un sac à la supérette qui était ouverte jusqu’à midi ce qui malgré tout est bien pratique.

Ainsi, même si Alvira faisait un peu la tête, ce qui était son habitude, les filles se retrouvèrent dans la cuisine pour allumer le four électrique, chercher de l’ail et de l’huile pour préparer « le poulet ».

La mère remarqua la gourmette au poignet. Alvira qui était bonne menteuse raconta qu’elle l’avait laissée là par mégarde en emmenant le bébé à l’hôpital, elle avait oublié de les prévenir que sa santé n’allait pas fort. Elle avait, disait-elle, conduit le bébé aux urgences en stop car Jo avait son match et du coup, il était arrivé pas frais. Un peu comme les deux autres. « Enfin, c’est la vie, on verra bien les résultats. »

Le frangin qui était aussi rapide que malin avait déjà rapporté un énorme paquet de frites congelées dont la date était périmée mais la caissière avait fait un prix. Il la connaissait bien. Il était vraiment débrouillard ce garçon, ce qui faisait qu’il était très apprécié notamment des femmes mûres.

Bien qu’Alvira soit légèrement assombrie par un soupçon de scrupules, elle se demandait secrètement quel goût aurait la viande. L’atmosphère de fête se fit vite contagieuse.

Il règne volontiers ce climat d’insouciance dans les familles populaires, qui compense à sa façon les problèmes de fin de mois. On se retrouve autour d’une table le dimanche. Un rien suffit à égayer les enfants. Une glace à l’eau, un sirop, une bière pour les plus grands, quelques biscuits et l’ambiance est à la joie. C’est ce qui est beau ! Ils savaient se contenter de peu depuis toujours, prendre leur plaisir là où il était en ne boudant pas le bonheur de l’instant présent.

À cause du match perdu, Jo avait descendu plus de bière qu’à l’accoutumée et le fait d’avoir vu son équipe disqualifiée le rendait tout nostalgique et amoureux. Il s’approcha d’Alvira qui le repoussa. Il avisa sa petite sœur, mais elle était vraiment trop laide. Il demanda à sa belle mère si finalement elle serait d’accord pour le consoler cet après-midi. Il se sentait chaud. Il avisa la poitrine de la belle mère plus plantureuse encore que celle d’Alvira. Il vint goguenard la soupeser à pleines mains. Alvira rouspéta qu’ils pourraient bien attendre d’avoir mangé et que lorsque la viande serait cuite, ça n’attendrait pas justement. Avec les cris des enfants à présent tous dans la cuisine, l’ambiance était au joyeux désordre. C’était beau de les voir chahuter ainsi. Cela émut la mère d’Alvira qui voulut faire des selfies pour les poster sur son réseau. Du coup cela dura des heures car chacun voulait y être, on passa l’appareil de mains en mains, il faillit tomber. La mère avait vraiment la passion des selfies depuis qu’elle avait découvert cette activité. Non seulement elle se photographiait avec chacun des membres de la famille, mais elle avait obtenu beaucoup d’abonnés en se montrant entièrement nue, y compris lors de ses ébats avec son gamin. Lui, faisait même parfois des vidéos en l’appelant « maman cougar ». C’était vraiment une famille moderne et pleine d’humour.

« Alors ? » demanda Alvira lorsqu’on servit la viande et les frites qui avaient cuit ensemble dans le four. Comme les photos avaient mis du temps, le tout était presque brûlé. Le garçon regretta que les morceaux ne soient pas si gros. Mais ça croustillait. « Ça change de la pizza », avait dit Jo. Alvira demanda s’il n’y avait pas comme un goût. Mais non, c’était très bien avec un peu de sel et de la mayonnaise. Alvira en avait toujours plusieurs tubes d’avance.

Tout fut avalé en un clin d’œil. Il fut décidé qu’on ferait la vaisselle le lendemain, car « le dimanche on ne doit rien faire ».

Jo complètement ivre commençait à s’endormir sur sa chaise. Les enfants qui ne tenaient plus en place voulaient aller dans le jardin pour jouer avec le chien du voisin. La bête était aveugle et ils adoraient le tourmenter jusqu’à ce que le vieux sorte énervé et menaçant. Le jeu alors consistait à lui tirer la langue. Ça le scandalisait encore plus, surtout lorsque la mère venait défendre ses petits en soulignant que ce n’étaient encore que des enfants. Les gens de nos jours n’ont plus aucune tolérance. Ils sont vraiment devenus stricts sur tout.

Comme les gamins s’étaient échappés dehors et que Jo ronflait à présent carrément sur sa chaise, le nez dans son assiette ; sa mère s’approcha d’Alvira. Elle lui confia qu’elle avait parfaitement reconnu le bébé. Surtout à cause de la gourmette. Elle lui dit qu’elle n’était pas folle et n’avait rien dit pour ne pas perturber les petits toujours prêts à chipoter. Alvira finit par acquiescer et avoua à demi-mots qu’elle l’avait trouvé le matin-même. Ce qui rassura sa mère,car du coup il n’était pas périmé. « Oui, et j’ai respecté la chaîne du froid » reprit Alvira rassérénée.

On le voit et quoi qu’en pensent les esprits chagrins qui voudraient remettre en cause sans cesse l’esprit de famille, on ne peut rien cacher à une maman. Une maman ça sait toujours la vérité C’est ça qui est beau.

le poulet

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Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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Aubin

Abominablement jouissif…

Vincent BRETON

merci 😉