La dernière pomme

Publié le Catégorisé comme Les trois pommes - conte
trois pommes

Voici le dernier épisode du Conte « Les trois pommes« . Le jeune Aurélien, après la mort de son grand-père s’est mis en route pour exercer son métier de colporteur sur les routes de Bretagne. Il s’est perdu dans la brume. Après une étrange rencontre, il a su porter secours à deux enfants. Mais alors qu’on lui proposait un gîte pour la nuit, le garçon préféra reprendre son périple sur sa bonne jument blanche. Il ne lui restait plus qu’une seule pomme pour toute réserve de nourriture…

Les 3 pommes – épisode 4 : la dernière pomme.

la jument

Ce n’est qu’après un long moment qu’il réalisa s’être de nouveau perdu. Il voyait bien le chemin. Ce n’était en rien le chemin habituel. Il ne le reconnaissait pas. De chaque côté de sa route, deux murs de pierre, d’abord assez bas, se dressèrent progressivement à sa hauteur formant un étrange couloir. Ils obscurcissaient le peu de lumière qui restait. Derrière lui la brume était si ferme qu’il avait l’impression qu’elle touchait son dos et le poussait presque. Impossible de faire demi-tour à présent. Le chemin était devenu étroit entre les murs. De toutes façons il avait de nouveau perdu ses repères. De tels murs devaient bien mener quelque part, à une propriété, un château peut-être.

Le cheminement était long. Aurélien voyait avec angoisse la nuit progresser doucement et se mêler à la brume dans un manteau sombre et lourd dont l’épaisseur était presque palpable. Ils avancèrent ainsi longtemps…

Soudain, Aurélien sentant un souffle d’air, réalisa qu’il n’y avait plus de murs. Il peinait à voir dans l’obscurité. Il avait la sensation de se trouver dans une sorte de clairière.

Il sauta de cheval en prenant soin de ne pas lâcher la bride qui le reliait à l’animal. Pas un bruit. Il n’entendait que ses pas dans les feuilles et les lourds sabots de la jument.

En avançant, il devina dans l’ombre une lourde forme qui semblait se détacher. Il pensa retrouver l’un des murs du chemin. S’approchant il comprit que c’était une bâtisse. Pas un bruit, pas une lumière, aucun chien ni basse cour, aucune odeur de bois brûlant dans la cheminée. Le lieu semblait inhabité ou abandonné. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le garçon se dit qu’il disposerait au moins d’un refuge pour la nuit. Que peut être il trouverait à faire du feu avec son briquet d’amadou. Il ne lui restait qu’une pomme. Il faudrait trouver de l’herbe pour la bête… Au moins, il pourrait prendre un peu de repos et aviser de la suite le lendemain matin en comptant sur le jour pour y voir un peu plus clair.

Il songea que personne ne l’attendait. Il était libre. S’il savait l’importance de son petit commerce pour survivre, un peu d’aventure ne lui était pas interdite. Il pensait à cette étrange journée tout en s’approchant au plus près de la grosse demeure afin d’en trouver la porte d’entrée.

La maison était très haute, mais il ne voyait aucune ouverture. On sentait une forte odeur d’humidité presque entêtante. Il était à présent à vingt centimètres de la façade. Toujours aucun bruit, aucune lumière. Il n’y avait pas âme qui vive. Il n’arrivait pas à voir de fenêtres… peut-être étaient elles de l’autre côté. Peut-être arrivait-il par l’arrière ? Les questions affluaient quand il découvrit se détachant des pierres un immense portail de bois voûté. Les planches étaient cloutées. Deux marches menaient à la porte.

— Les habitants ont dû fermer en partant. Nous risquons de dormir à la belle étoile ma belle. Peut-être trouverons-nous une grange…

Il s’apprêtait à chercher plus loin mais sa main machinalement avait essayé de pousser le lourd ventail. Contre toute attente celui-ci s’ouvrit très facilement. La porte s’était ouverte sans un grincement mais son visage s’était pris dans une immense toile d’araignée dont il fallut se défaire.

La jument était restée devant la porte. Tout lui paraissait sombre et immense dans cette demeure. Il traversa un vaste couloir puis parvint dans une immense pièce. Ses pas résonnaient sur le carrelage. Il n’y avait pas de lampe, pas de torche, pourtant une faible lueur semblait éclairer les murs. Il devina de lourdes tentures, quelques gros meubles, de grands coffres comme il s’en faisait à l’époque. Il était sans nul doute dans une maison de maître. Il se demanda pourquoi il n’en avait jamais entendu parler. Il continuait de progresser dans l’immense salle quand il comprit d’où venait la faible lueur qui éclairait à peine les lieux.

Il y avait au fond une cheminée plus haute qu’un homme et large comme un bœuf. C’était impressionnant. Mais plus impressionnant encore, Aurélien découvrit des braises rougeoyantes dans l’âtre qui témoignaient qu’on avait fait du feu récemment. Il alla presque jusqu’à les toucher. Il y avait donc eu quelqu’un avant lui ou les habitants étaient partis dans la journée. Allaient-ils revenir ? Peut-être n’aimeraient-ils pas trouver un étranger introduit chez eux. Il craignait d’avoir des ennuis mais se dit qu’il n’avait guère le choix. La nuit était déjà épaisse, la brume envahissait tout. Il n’avait guère envie d’aller s’embourber dans quelque chemin de forêt avec sa jument fatiguée ou de tomber sur une bande de korrigans énervés qu’on les dérange en leur territoire. On lui avait raconté de sombres histoires de pauvres hères habitant dans la forêt et prompts à attaquer les passants perdus. Il serait mieux ici. Aurélien se proposa de sortir chercher un peu de bois, de trouver un peu d’herbe pour la jument. Il dînerait de sa pomme et dormirait devant la cheminée. Au moins, il n’aurait pas froid. Il partirait le matin dès l’aube en espérant ne pas tomber sur les propriétaires des lieux.

C’est en se retournant pour revenir sur ses pas, qu’il découvrit sur sa droite ce qu’il comprit être un haut fauteuil proche de la cheminée. Il s’en approcha s’imaginant déjà s’y réfugier peut-être pour y passer la nuit… quand il réalisa que le fauteuil était occupé.

Une petite silhouette sombre, recouverte d’une sorte de drap noir était en effet recroquevillée dans l’ombre. L’immobilité de la forme lui fit craindre le pire. Il était probablement devant le corps sans vie de l’habitant des lieux qui était venu s’éteindre devant la cheminée. Cette immobilité lui rappela celle de son grand-père le jour de sa mort. Il eut un frisson. Que fallait-il faire ? Fuir ? Chercher du secours ? Mais si c’était un mort… Trouver un prêtre ? Prévenir qui ? Il ne savait pas même où il était. Quelle journée terrible… Il se pencha plus avant encore, mû par la curiosité et l’inquiétude. Était-ce une femme ? Un homme ?

Il entendit presque imperceptible, un petit gémissement. Plus aigu et réduit que celui de la poulie du puits chez lui. Il recula pris de peur, puis se ressaisit. Peut-être s’agissait-il d’une personne âgée malade ?

Il posa la main sur l’épaule de la frêle silhouette et deux grands yeux s’ouvrirent. Ils lui rappelaient ceux de la jument, ils lui rappelaient ceux de sa mère. Troublé, il tenta de balbutier quelque chose, mais il ne parvint pas à être intelligible mélangé qu’il était de peur et d’inquiétude.

— J’ai faim.

Il entendit ces mots presque murmurés.

— J’ai faim, reprit la frêle petite personne qui semblait réunir toutes ses forces pour lui parler.

Aurélien fut d’abord pris de panique. « — Faim ? Mais c’est que je n’ai rien à lui donner ».

Tout se bousculait dans sa tête quand il se souvint. Il courut et traversa la grande salle. Allait-il abandonner cette pauvre personne qui visiblement agonisait ? Il remonta le couloir et retrouva la jument qui l’attendait sagement devant la porte. Un instant, un bref instant il hésita à monter en selle et fuir… Personne n’en saurait jamais rien. Puis il pensa à son grand-père, souleva l’un des sacs accroché à la selle et en sortit la pomme. La dernière pomme. La seule qu’il lui restait de ce qu’il avait trouvé à emporter en partant.

Il prit la pomme dans sa main. Il pensa à sa propre faim. Il approcha le fruit de ses lèvres. Il sentait déjà la bonne odeur du fruit et il salivait.

Il pensa à sa mère. Il hésita encore. La pomme était presque contre sa bouche et ses dents déjà prêtes à mordre le fruit. La tentation était irrésistible. Il entendait clairement son ventre affamé faire des petits bruits significatifs… Quand soudainement, il sentit le regard de la jument. Elle le fixait si tendrement, si affectueusement de ses yeux purs et profonds, qu’il écarta le fruit de sa bouche, intima à la jument de l’attendre puis courut de nouveau vers l’intérieur de la maison.

La pauvre silhouette n’avait pas bougé du fauteuil. Il s’approcha avec douceur, tendit le fruit en silence.

Une petite main fine s’ouvrit en soulevant la sorte de cape dont était revêtu l’être qui avait gémi tout à l’heure. Aurélien l’observa dans la pénombre manger le fruit avec délicatesse. Cela sembla durer des heures et il la contempla sans bouger, oubliant sa propre faim.

Il s’était assis sur une sorte de petit tabouret bas et contemplait cette étrange personne dont il ne discernait pas les traits.

Il se passa encore un long moment.

La nuit déroulait lentement son fil. Dehors, la jument avait trouvé une bordure riche en herbes qu’elle mastiquait doucement, Aurélien n’en savait rien. Il se sentait responsable de cette personne découverte dans cette immense maison…

Ses paupières s’abaissèrent sous l’effet de la douce chaleur des braises de la cheminée dans son dos.

Il ne sut pas d’abord s’il rêvait ou si c’était la réalité.

La petite silhouette du fauteuil s’était redressée devant lui. La cape noire tombée de ses épaules avait laissé place à une belle robe chamarrée de tissus colorés mêlés de fil d’or. Devant le jeune homme, c’était une belle dame. On aurait dit une duchesse, une reine, une fée.

Rêvait-il ? La faim peut-être qui le tenaillait lui faisait perdre conscience…

— Tu m’as sauvée mon garçon. Merci. Comme ce matin tu as donné ta première pomme au petit korrigan, puis comme tu as sauvé les enfants qui avaient perdu leur mère leur donnant ton pain tout entier et encore une pomme. Ce soir tu m’as donné ta dernière pomme et je sais que tu avais faim. Alors, pour te remercier, je vais te laisser choisir entre deux vœux que je peux réaliser pour toi. Ce sera l’un ou l’autre. Quand tu auras choisi, ce vœu se réalisera à jamais dès le lever du jour. Le premier, tout le monde le souhaiterait : ce sera de devenir le jeune homme le plus fortuné non seulement de Bretagne ou de France mais de tous les pays alentours. Tu seras plus riche que le plus riche des rois. Tu pourras enfin posséder tout ce que tu voudras. Tu pourras renoncer à ton travail de colporteur. Ta fortune immense sera infinie, tu ne manqueras jamais de rien… Bien sûr tu pourras avoir autant de maisons ou de palais que tu le voudras et disposer de serviteurs…

À cette proposition, Aurélien sentit son cœur battre. Ce serait la fin de ses problèmes. Il trouverait là juste récompense des épreuves qui n’avaient pas manqué dans sa jeune vie.

La voix reprit.

— Oui qui ne rêverait pas de devenir riche ? Cela n’enlèvera pas la brume, les tempêtes ou les malheurs, mais tu seras incontestablement riche à jamais… Le second vœu pourra se réaliser dès demain matin. Il est simple. Là où tu passeras, la brume se dissipera. Ainsi, tu ne perdras plus jamais ton chemin. Toute brume ou brouillard s’écartera sur ton passage sans que tu n’aies rien à dire, ni à faire. C’est tout. C’est l’un ou l’autre. La fortune ou que se dissipe la brume.

Nombre d’entre nous auraient choisi la fortune. Mais Aurélien pensa à sa mère, à son grand-père… Est-il mieux d’avoir grande fortune ou de savoir trouver son chemin ?

— La fortune ne m’intéresse pas dit-il distinctement.

— Alors la brume se dissipera…

Quand Aurélien se réveilla tôt le matin, il se retrouva allongé devant l’âtre où mouraient les dernières braises, la tête reposant sur cette cape noire roulée comme un oreiller. Le jour était encore faible. Il reconnaissait ce qu’il avait entraperçu la veille au soir.

Cependant, le grand fauteuil étroit était vide. Il chercha du regard s’il pouvait y avoir quelqu’un. Il alla voir dans une pièce voisine. Tout était vide. Personne.

Il sortit. Il retrouva la jument qui paissait tranquillement sur un petit pré attenant à l’immense bâtisse. Il y avait là un petit pommier et ce qui était étrange pour la saison, il était couvert de fruits rouges. Aurélien en détacha trois pommes. « — Cela suffira bien, se dit-il ».

Il mena boire la jument à la fontaine où il se débarbouilla puis sans tarder ils reprirent la route.

Il était encore tôt, mais il n’y avait pas une seule trace de brume. Tout s’était dissipé et ils purent rejoindre leur route sans difficulté, éclairés par un soleil généreux.

On raconte dans la région, que partout où Aurélien le colporteur, se rendait, la brume se dissipait. Il disait porter chance… La brume se dissipait, et il apportait sa présence, sa bienveillance, son aide en plus de ce qu’il vendait. Il ne devint pas le plus fortuné, mais il vécut bien de son métier, ne manquant de rien. Tout le monde savait pouvoir compter sur lui et en retour il savait pouvoir compter sur les autres. Plus tard on dit qu’il retrouva les enfants qui avaient grandi, qu’il se maria…

De temps à autre, assis sur le petit banc de pierres de sa maison aux volets rouges, là où son grand-père s’asseyait autrefois, il lui arrivait de se demander s’il avait rêvé ou pas, cette nuit de brume où il s’était perdu.

La seule à savoir, c’était sa jument qui le regardait avec tendresse de ses grands yeux doux et profonds.

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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