Se situer dans l’espace, prendre ses repères au lieu où l’on se trouve, n’est pas qu’affaire de cartes et de technique. Au moment où j’arrive dans une nouvelle région, ce que j’appellerai la sensation géographique c’est une façon d’appréhender l’espace dans ses différentes dimensions et composantes, y compris culturelles, au sens large. Il s’agit de l’apprendre pour se situer, se construire progressivement une première image mentale des lieux. Ici, la géographie est complexe et pleine de surprises. Mon approche est empirique et devra parfois être corrigé par le conseil, la carte ou la pratique…
Il se passe certainement plein de choses au niveau des connexions neuronales, c’est une expérience sensible troublante. Les surprises se renouvèlent chaque jour quitte à déstabiliser parfois.
À la pointe de la Bretagne ou à la frontière italienne…
D’autres lieux bien que riches et complexes, avaient quelque chose de plus simple à identifier et repérer sur la carte. Ce qui est amusant c’est qu’après quelques mois ou quelques années à vivre quelque part, ne serait-ce que la carte météo qu’on nous montre à la télévision, nous ne la regardons plus de la même façon que nous habitions à Paris, en Haute-Provence ou en Bretagne.
Notre point de vue tend à déplacer le centre… nous nous identifions peu ou prou au lieu où nous vivons…
C’est d’ailleurs traduit en cartographie par une façon de représenter le monde en le centrant sur tel pays ou tel continent… tout le monde connait ça…
Ayant déménagé à plusieurs reprises, c’est quelque chose que j’ai pu ressentir presque physiquement à chaque fois. Un besoin de se situer sur la carte, croisé à une sorte de perception forgée par l’environnement proche et plus lointain… Au fil du temps, même le regard sur les lieux va changer…
On se perçoit sur la carte, on se perçoit également par rapport à ses amis, ses proches, sa famille dispersée… De nombreux repères s’élaborent. On apprend à nommer et reconnaitre les lieux en fonction de ses besoins.
L’étrange Aveyron
Les échanges avec la famille ou les amis, montrent que tout le monde ne perçoit pas bien où se trouve l’Aveyron… Pour certains le Rouergue est parlant, d’autres y associent le Sud-Ouest, d’autres encore le Massif Central…
Dans un groupe Facebook dédié à publier des photos sur l’Aveyron, il arrive que certains se trompent tant le territoire est vaste et frontalier avec des espaces géographiques très différents les uns des autres… ils publient des photos de la Lozère ou du Cantal…
La silhouette du département vaste en superficie et peu peuplé pourtant, n’est pas facile à restituer de mémoire. 7 départements en sont frontaliers :Tarn, Tarn-et-Garonne, Lot, Hérault, Gard, Lozère et Cantal.
On est dans le paradoxe d’un département plutôt rural et par certains aspects enclavé mais qui incite également à découvrir d’autres espaces… Les influences se croisent…
Des frontières et des vallées
Bien que la frontière départementale soit symbolique, je vis à quelques centaines de mètres du département du Lot. Le pont métallique de Cajarc sur le Lot, à voie unique, accentue la symbolique d’un passage vers l’autre département. C’est là que vont les écoliers. Que sont les premiers commerces. Le dessin routier oblige d’ailleurs à m’éloigner du pont puis revenir sur mes pas via un rond point. On apprend la prudence et la patience.
La frontière est marquée par la vallée du Lot mais en remontant vers Villefranche de Rouergue on croisera des ruisseaux, l’Aveyron… chaque espace a son ambiance. Entre vallées, falaises, plateaux… ce sont des systèmes variés qui se succèdent. Il y aurait des monographies à écrire… Des poèmes aussi.
Les villages eux-mêmes, jouant de l’empilement ou de la hauteur font corps avec les paysages.
Un incroyable schéma routier
Pour me rendre à la sous-préfecture, j’ai déjà trouvé quatre routes différentes. Plus ou moins étroites ou faciles… avec ce bonheur de se dire qu’on peut aller par une route, revenir par une autre. Farceur, le GPS réserve bien des surprises pour peu qu’on joue avec la programmation…
Les distances affichées parfois courtes entre deux villages, se pondèrent au nombre de lacets. Des hameaux proches à la vue, exigent de savants détours et circonvolutions pour être atteints.
Je découvre mille « bouts du monde » qui sont en réalité des portes vers d’autres mondes, d’autres vallées…
Histoire et activité
Quand on observe le nombre d’écoles fermées, chacun comprend qu’on a perdu quelque chose avec le temps… Les monuments aux morts ne cessent de rappeler que les petites communes rurales n’ont pas été chiches en sacrifices.
Des constructions magnifiques, parfois en des lieux « perdus » montrent à quel point le pays était vivant… Il peine en certains lieux… le tourisme ne fait pas tout.
Les espaces sont à la fois sauvages et modelés. L’architecture semble avoir été dessinée par des génies inventifs.
Où va ce chemin ? Ne pas se perdre…ou oser se perdre un peu…
Chaque escapade offre son lot de surprises. Où va ce chemin ? Il vous fera grimper sur le causse où vous retrouverez une route connue… mais c’est souvent l’aventure.
Vous cherchez un lieu, il est presque secret et il faut être attentif. Vous l’avez dépassé, revenez en arrière…
Il y a tant de petits villages, de hameaux semés… même les gens d’ici n’y vont que s’ils en ont l’occasion ou le besoin. Chacun élabore ses trajets préférés en fonction de son métier, de ses choix de commerces, de ses liens….
Et c’est cela ce paysage. Des liens visibles à l’œil nu puis d’autres, comme des fils transparents tissent une toile reliant tel lieu à tel autre…
La vie animale y fait beaucoup, qu’elle soit domestique ou sauvage… Les vaches ont ici une personnalité étonnante (elles prennent des postures dans les champs), les rapaces sont les rois, on peut croiser d’énormes sangliers poursuivis dans les champs par les chasseurs, un chevreuil à deux pas de la maison, une foultitude d’insectes… des cavaliers investissent les petites routes…
Des enfants marchent pour rejoindre un bus scolaire, les vélos sont souvent de sortie dans les villages… Hélas, on a déferré ces dernières semaines, l’ancienne voie de chemin de fer qui desservait la gare de Cajarc. On y fera une voie pour les promeneurs… soit.
Géographie mentale
Tous ces éléments, ces images, ces liens, ces repères, avec les cartes que je déploie ou le GPS qui veut me commander, je commence à les organiser en images mentales.
Je me perds. Ce n’est pas sans bonheur, j’ai mon temps. Se souvenir par quelle rue on est arrivé dans la bastide n’est pas si aisé…
J’ai des envies de boussole, une boulimie de cartes, je les voudrais plus précises, Geoportail est mon ami.
Je mesure aussi qu’il faudra trouver l’équilibre entre les nécessaires habitudes, les trajets motivés par des besoins ou des choses à faire… et la nécessité de ne pas s’enfermer dans des représentations qui priveraient de la découverte de richesses proches…
Tout cela est à la fois enthousiasmant et rend très humble devant la quantité de savoirs nouveaux à découvrir, comprendre et s’approprier…
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